[HJ: pardon du retard]

Cela faisait déjà quelques temps que je marchais au hasard des rues, quêtant une trace de ma douce, et allant d’adresses en adresses, débusquer la Licorne, ainsi que l’on me l’avait demandé. Quelle charge ironique, vraiment, pour quiconque connaissait mon cœur… En passant un croisement, je le vis, personnage grandiloquent qui s’agitait, qui dansait. Je l’évite, il me poursuit. Il me suit, il m’appelle ?

Mais qu’était ce fou ? Qu’était ce taré ? Je dus bien me rendre à l’évidence, c’était mon nom qu’il scandait des trémolos dans la voix, en se jouant de mes nerfs. Qu’avait-il dit ? Que j’attendais ma bel… Pardon ? Comment savait-il ? Immédiatement, je m’arrêtais pour écouter la présentation du grandiloquent personnage. Marionnettiste ? Fou ? Voler ? Je ne comprenais rien, ou peut-être comprenais-je que trop ? Il me barrait le chemin de ses bouffonneries, et il était trop tard pour la retraite. Inflexible, donc, j’attendais, faisant fonctionner mon cerveau comme je le pouvais, alors que tombait la suite de son petit discours.

Le regard de l’étrange personnage s’était fait lointain. Je ne pus m’empêcher de me retourner pour contempler ce qu’il fixait. Il n’y avait rien d’autre que l’extrémité d’une ruelle, rien d’autre que du vide. Que voyait-il ? Que percevait-il ? Fou ? Oracle ? Dans les deux cas, son aura me révéla qu’il était un vampire…

Il parlait d’une femme, de ma Deindre ? Diable ! Comment savait-il ? Ses mots avaient la clarté du cristal. Elle n’aimait pas, comment le pourrait-elle ? N’étais-je pas son ennemi après tout ? Trahir le sang, ce sang de Tremere, pour la chair, pour l’amour, pour les élans que ressentait mon cœur mort. Le pouvais-je ? Insignifiant… N’étions-nous pas tous insignifiants ?

Chacun des mots de cette énigme vivante tombait comme un poids, soulevant une myriade de questions, un océan de poussière qui troublaient toute logique. Ne disait-on pas qu’il fallait chercher dans les paroles des fous le vrai ? Je le cherchai, ce vrai, j’étais en quête, et je ne le trouvais pas. Que de suppositions pour un si étrange larron… Et le voici qui changea encore brusquement de comportement, se mettant à me promettre assistance, un costume ? Comme au théâtre ? Voulait-il me signifier que j’étais l’objet d’une farce ? Décidément je ne comprenais rien, mais ses mots jetaient en mon âme un trouble insondable. J’hésitais entre la fuite, la consternation, et l’amusement.

Le Tremere en moi optait pour la consternation, l’humain pour la fuite, et l’amoureux… eh bien il fermait son clapet, l’amoureux…

« Excusez-moi, monsieur ? Madame ? Mademoiselle ? Damoiseau ? Le… Le Fou, c’est ça ? Vous voulez m’aider, c’est cela ? Pourriez-vous donc me laisser passer, il se trouve que j’ai à faire dans ces quartiers… Vous le comprenez n’est-ce pas ? Je ne peux pas perdre de temps. »

Il fallait, m’avait-on dit, toujours se montrer courtois avec celui qui n’avait pas la même vision du réel… quelque fois qu’il serait possédé par un Démon. Ce fou l’était-il ? On n’était jamais trop prudent… après tout, en devenant Semblable, j’avais bien découvert dans le même temps que certains humains étaient capables de magie ? Si ça ce n’était pas de l’hérésie…

« Je ne saisis pas ce à quoi ou à qui vous faites référence, vos paroles sont obscures, ne m’avez-vous pas pris pour un autre être insignifiant de cette ville ? Il y en a beaucoup, après tout. »

Le Fou voyait son visage consterné ! Toujours, toujours, toujours ! Jamais de surprise ! Le Fou, apeuré, se demanda pourquoi personne ne cherchait à l'amuser ! Pourquoi personne n'était différent ? C'était toujours à lui de divertir la galerie. C'était agaçant ! Il fit de doux pas de danse, se rapprochant de Gilhem puis s'arrêta tout sérieux pour l'examiner de nouveau. Il tirait là sa manche, soufflait dans ses cheveux, inspectait de près son visage, palpait ses poches, marmonnait en regardant son dos, tapotait sa joue. Discrètement, il venait de faire son office ! Sa Volonté était presque terminée.

"Oui, oui, oui ! Le Fou ! Non, je ne te laisserais pas filer. Où irais-tu ? Ton Destin est ici ! Non, non, non. C'est bien vous ! Et puis, tu n'es pas insignifiant ! Tu es très important dans cette farce ! Il te veut ! Et elle aussi ! Même si vous êtes ordinaires, vous pouvez les miracles. Ou mourir. Ne préférerais-tu pas la mort à ce qui te ronge, petit être insignifiant ?"

Il s'arrêta net dans son discours et fixa le ciel, immobile. Cela dura quelques petites minutes. Puis le Fou de nouveau s'agita en tout sens, courant au devant du chasseur.

"Les Anglais débarqueront et envahiront mais c'est dans longtemps ! Et puis cela n'a rien à voir ! Que souhaites-tu vraiment ? Attention, le Destin ne te laissera pas le choix alors choisis bien ! Les méandres de ton esprit sont-ils belliqueux avec le palpitant ?"

Sa voix était tragique, semblant exagéré chaque émotion qui transperçaient dans sa voix. Le Fou prenait des poses dramatiques, semblant mourir au pied du brun. Il sauta de nouveau sur ses pieds, son costume blanc et noir quelque peu entaché par la crasse de la rue. La terre salissait son bel habit. Le Fou se sentait bête mais tant pis ! La Quête état plus importante que ce chiffon. Il se rit des tâches en s'époussetant.

"Ah là ! Là! Là encore ! Quel maladroit ! Quelle tristesse ! L'amour du métier me conduira à ma perte ! Tout est de votre faute ! Et de la Sienne ! Je m'en veux ! Vous voulez tout savoir n'est-ce pas ? Vous savez déjà mais vous ne le savez pas ! Dites-moi maintenant... que lui direz-vous si vous la voyez ? Allez-vous lui crier votre sang sur les mains ? Allez-vous être muets quand ce que vous espériez deviendra ce que vous craigniez ? Allez-vous la considérer comme une botte de foin soumise à votre volonté ? Allez-vous dire quel a été votre chemin ? Et lui, celui qu'ils lui ont arrachés... l'évoquerez vous ? Vous feriez mieux. Ou peut-être que non. Quoiqu'il en soit, je serais là pour vous tirer de vos erreurs. Si vous êtes gentils ! L'êtes vous, fou transi ?"

Le Fou riait, chantonnait guilleret. Pourtant, ce Gilhem devait réfléchir à tout cela. Qu'y avait-il dans son petit esprit ? Les Fils tressautaient, tournoyaient, rien ne se fixait et pourtant tout était déjà écrit. Destiny faisait son œuvre. Death s'en mêlerait t'elle alors que le Copiste était sous l'influence de Dream ? Tout cela finirait-il par être dans les mains de Destruction ou de Delirium ? Desire s'amusait alors que Despair attendait. Le Fou en avait assez des éternelles et de leur jeu parfois. Mais il obéissait. Il n'était qu'un Fil qui voyait les autres Fils. Il jeta un morceau de papier en l'air, déchiré en plusieurs morceaux comme des confettis.

[HJ : Le Fou a remplacé ta liste par une autre où se trouve le nom de Deindre en bas.]

Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder avec prudence ce personnage grandiloquent qui semblait à la fois être fou et sain d’esprit. J’optais, de mémoire, pour un Malkavian. Ils passaient rarement inaperçu après tout… Et voici qu’il reprenait ses singeries, ses propos sybillins. « Il te veut », qui donc me voulait ? Préférer la mort à ce qui me rongeait ? Cet amour ? Ordinaire, insignifiant, important, trois mots qui s’entrechoquaient dans le discours de cet étonnant personnage. Il se figea soudainement, et leva le nez au ciel.

J’eus envie de le secouer, de m’approcher, de m’enquérir de l’état de cette singulière rencontre, mais sa voix s’éleva bientôt, à nouveau lointaine, alors que le fou s’agitait comme un dément. Ce que je voulais vraiment ? Le Destin ? Le palpitant ? Bon Dieu, je ne comprenais rien à tout ce charabia. On m’avait toujours dit que les prophètes avaient quelques défauts de clarté dans le langage, mais celui-là était tout bonnement incompréhensible. J’exerçais cependant mon esprit à tenter de déchiffrer cet ardu code.

Il vint choir, mourant (enfin, faisant semblant de mourir), à mes pieds, avant de bondir à nouveau et me tarauder de question, d’interrogations et de mises en garde. Je n’en comprends pas la moitié, et n’ait que des suppositions sur l’autre moitié. J’essaye de suivre, de lui répondre, mais la chose est terriblement malaisée pour quiconque n’a pas l’esprit dérangé de ce fou… Et malheureusement je dois avoir l’esprit un peu trop façonné pour cela.

« Il faudrait savoir, messire Fou, je suis important dans cette farce, ou je suis insignifiant ? Ne vous contredites pas. Puis-je être les deux à la fois ? « Il » me veut ? Qui donc me veut ? Et quant à la mort… Un Mort n’est d’aucun secours à celle qu’il aime, je dois être vif pendant un moment au moins pour la protéger. »

Je pris un temps de réflexion quant à sa remarque sur les Anglais. Que venaient-ils faire ici, ceux-là ? J’avais du mal à comprendre.

« Le palpitant ? Le cœur ? Vous voulez parler de cœur, de sentiment ? Comment donc connaissez-vous autant de choses quant à cette Semblable, quant à moi ? Le Destin vous parlerait-il en songe ? Je dirai à ma Dame tout ce qu’elle veut savoir, tout ce qu’elle doit savoir. Je ne mentirai pas à la plus belle et la plus brillante de toutes les étoiles de ce ciel, ni ne dissimulerai mes chemins et mes errances… Mais… il faudrait déjà que me soit visible cette étoile perdue dans les ténèbres de cette si grande ville. Je ne sais où chercher et où trouver… Mais je continuerai ma quête, cher Fou, je poursuivrai cette recherche jusqu’au dénouement de toute cette histoire. »

Et je ne savais que dire de cet étrange être, une question peut-être, une demande. Le personnage était énigmatique, mon esprit rationnel cherchait la connaissance tout autant que le signe d'une vérité nouvelle.

« Que savez-vous, au juste, Fou ? Savez-vous tout ? Ce qui est, ce qui fut, ce qui sera ? »