Le Fou l'attendait. Il lui avait dit qu'il serait là, le guerrier fort d'esprit. Enfin... qu'il passerait par là. Comme d'habitude, le Fou avait longtemps observé dans l'ombre le dénommé Solomon, conseiller Salubri. Il avait même tenté en vain de pénétrer son esprit pour mieux le connaître. Mais la réaction du guerrier au simple effleurement de l'esprit lui avait vite indiqué que le don de l'esprit ne devait pas être utilisé avec celui-ci. Mais l'observation, c'est bien suffisant Lui avait-il révélé ! Et c'est ainsi qu'il avait vu la colombe aux herbes parlait avec le poisson aux écailles brillantes. Le plan s'était assemblé dans son esprit. Il avait cherché, cherché, cherché et avait trouvé !

C'était cette nuit qu'il devait agir, on lui avait soufflé à l'oreille dans la lumière de la lune. Il apparût derrière Solomon qui marchait autour du Palais de la Cité et lui tapota l'épaule. Il avait le ton dur, où perçait la colère en s'adressant à cet homme plus grand que lui.  

"Est-ce vous ? Il parait que vous avez besoin d'aide ! Je suis donc là, beau guerrier ! Hum... c'est vrai que vous êtes fort, musclé et bel homme. Il ne m'a pas menti ! Bref ! Il dit que je suis là pour vous aider. Que vous n'y arriverez pas seul. Que vous le voudriez."

Il tourna autour de Solomon, l'observant de plus près. Oui, sa peau était magnifique, son menton, ses yeux perçants, sa bouche suave. Et ses mains puissantes, cette armure qui scintillait presque. Cet homme n'était pas important, mais son aura chatouillait le Fou. Il mourrait d'envie de lui toucher le corps, sentir sous ses doigts gantés de blanc la dureté du fer. Il ne savait que faire du Salubri, mais le Fou le saurait, lui. Bien que son fil ne cessent de bouger, de s'effacer, de se durcir, de s'emmêler. Le Destin complexe et toujours imprévisible, chez un homme aussi prévisible, quelle rareté ! De grandes choses pouvaient découler de ce petit caillou ! Le Fou se mit à rire tout en évoquant les tristes souvenirs d'une âme meurtrie.

"Celui qui lui a fait du mal. L'Usurpateur. Il a blessé la fille en son âme, la guérisseuse. Il lui a fait du mal. Et il mérite la mort. Je sais où il est. Enfin, je sais où le chercher. J'aimerais t'aider, car seul, tu perdrais la vie pour aller prendre la sienne. Acceptes-tu ce rendez-vous romantique sous la lune, inconnu Solomon ?"

Il lui tendit la main en faisant une courbette. Leur destin serait-il lié en cette nuit ? Lui, le prophète, lui, le guerrier qui pouvait tout changer ?

Le Fou se mit à rire. A éclater de rire serait plus juste. Son rire bondissait de mur en mur, dans la ruelle peu animée. Des passants d'une rue plus grande jetaient un œil rapide et inquiet pour de suite presser leur pas sur les pavés. Il faisait trop noir pour que des gens osent s'aventurer dans une querelle de taverne ou se faire poignarder par un voleur. Le Fou et son caillou était seul. Il faisait froid, il fallait pas se le cacher mais le Fou ne ressentait pas ce genre de choses, ni même la violence d'un coup. Il s'en fichait. Seul les Fils comptaient. La violence de Solomon n'avaient pas été prévus. Elle faisait partie d'un chemin possible vu dans le Fil. Mais le chemin venait d'apparaître de façon plus clair et plus solide sous leur pied. Les autres avaient disparus de nouveau aussi vite qu'ils étaient apparus. Le Fou craignait la violence mais en même temps ne la redoutait pas. Il ne sentait rien mais c'était douloureux. Il se contentait de rire, rire, rire comme si c'était la meilleure plaisanterie du monde. Et elle l'était. De sa voix la plus neutre, il dit :

"Huhuhu ! Hahahaha ! Doucement, doucement ! Tu passes trop vite les préliminaires, mon cher amant ! J'aime cela, je te l'avoue, cela m'excite fortement... Mais tu passes trop vite les étapes ! Je ne suis pas un être aussi facile ! C'est mal me connaître que de penser que j'appartiens à un camp. Enfin, moi-même je ne me connais pas, et bien fou serait celui qui le prétendrait. Mais je te sens un peu fou... gueux ! Et dire que je fragilise le pouvoir, tu te méprends ! Je ne sers que le Destin ! Le pouvoir se fragilise bien lui tout seul ! Ne me confonds pas avec quelqu'un d'autre ! Je ne vois pas de quoi tu parles ! Qui est-il celui dont tu parles ! Raaaaaaah ! J'ai mal à la tête ! Suffit ! Ne plus penser ! Ne plus penser !"

Le Fou prit sa tête entre ses mains, toujours contre le mur, Solomon le tenant fermement contre le mur rude et abrupte qui ne chantait jamais. Il avait mal. Puis cela s'arrêta. Il reprit le plus naturellement du monde, à l'intention de son interlocuteur pas très poli, sur un ton effrayé :

"Tu es fou, l'ami, l'amant, l'amour ! Rentrer dans mon esprit ? Peu s'y sont aventurés et ils ne peuvent plus vraiment témoigner ! Fou que tu es ! Non ! Non ! Je ne veux pas qu'il t'arrive du mal ! Non !"

Et pourtant, déjà Solomon devait être en son esprit, en son sein. Qu'y verrait-il ? Le Fou savait.

Il faisait chaud dans son esprit, mais avec des courants frais qui gelaient les pensées. Des fils de toutes couleurs allaient dans tous les sens. Des visages, des silhouettes effacés ou au contraire solides se promenaient sur les Fils. De gauche à droite, de haut en bas, si tant est qu'on pouvait parler de direction. Il n'y avait pas de sol, tout semblait flotter. Il semblait y a avoir une fin, mais en même tant aucun début. Ce n'était donc pas possible. Des Fils s'entrecroisaient et brillaient davantage que d'autres. Des chemins droits, ronds, carrés, sinueux, partant en tout sens, étant parallèle mais se touchant tout de même, des carrefours de Fils. Des couleurs, partout, partout. Et le Fou. Là. Entourés de silhouettes très différentes les unes des autres. Comme effacés par le temps et pourtant si vivaces. Il écoute et sourit. Là-bas, derrière, un autre Fou, habillé différemment, caché, écoutait dans une position similaire d'autres silhouettes, toutes encapuchonnés. A droite, Deindre tenant par la main un homme dont on ne voit pas le visage. A gauche, Deindre fuyant, poursuivi, tandis que des Caïnites tuent un de leurs semblables en usant de magie. Quelque part, en haut, un homme aux cheveux longs et noisettes. En bas, un garde reste fixe sur son fil qui scintille d'un bleu sombre. Des sons parviennent de partout, une véritable cacophonie. Des odeurs aussi agressent ou chatouillent agréablement les narines. Du poulet, un parfum de lavande, des excréments, l'odeur du moisi, du curry, de l'herbe mouillée. L'air est sec. Non, humide. Du citron. Il fait très chaud. Trop chaud. Une impression de flamme froide en-dessous. Le Fou attrape l'épaule de Solomon. Il lui sourit alors qu'il tient son épée dans sa main. Il lui donne. Il fait ensuite rouler un caillou sur le fil de Solomon qui part vers le haut... enfin... presque. Le Fil brille de plusieurs couleurs et se dirige... où ? Le caillou roule dessus, s'éloignant d'eux, jusqu'à atteindre le bout de ce que la vision de Solomon peut voir. Des endroits sont trop blancs et d'autres trop sombres. Mais le résultat est le même. Il ne voit rien à plus de... quelques... quelle mesure de distance ? Doit-il mesurer en temps ? Non... en couleur, peut-être. Le Fou court après un homme. Un autre le menace. Une femme sans visage lui parle. Il est partout et nulle part, indéfinissable. L'air semble comme chargé de tristesse. Non, de colère. Non c'est un tissu d'amour. Non, cela a encore changé, on sent le rire et la moquerie. Des rires, des pleurs, des murmures. Là-bas, un sablier. Non, ils sont dans le sablier. Le sable coule. Le chemin s'efface, un autre se crée. Les Fils, les Fils murmurent. Une assemblée de silhouette rit et festoie derrière lui. En bas, en bas, à gauche, il y a encore ces silhouettes étranges et différentes. Tant de discordance. Tant de discordance.