"Ah.
Voilà le jeune enfant qui s’avance.
Haha.
Ton ignorance ne te suffit plus ? Tu veux savoir à présent ? Je suis toute indiquée pour ce genre de choses, car je sais beaucoup. Ceux d’en haut ne font guère attention à ce que les ombres peuvent entendre, c’est une bonne chose pour nous, et pour toi peut-être. Mais la curiosité coûte cher, enfant, ma sagesse d’autant plus. Sache-le, tu paieras mon tribut en temps et en heure. J’ai l’éternité pour te rappeler ta dette, souviens-t-en.

Il y avait un Prince naguère, un prince joli, Joli Prince des temps antiques. Si vieux, si poussiéreux. Si puissant aussi. Tu dois te méfier des choses plus vieilles que le sol qu’elles foulent, enfant, car elles ne sont jamais mortes malgré les millénaires. Si la faux n’a pu les semer, penses-tu pouvoir le faire ?
Mais que cela te rassure, tu n’auras pas à te soucier du joli Prince durant quelques temps. Il s’est laissé aller au froid sommeil de ceux de sa nature ; une torpeur que ni toi ni moi ne connaissons vraiment. Peut-être s’éveillera-t-il dans quelques siècles. Ou jamais. Beaucoup l’espèrent.

Son trône est vacant, les charognards rôdent autour. Certains dévorés par l’ambition aspirent à asseoir leur séant doré sur la chaise de pouvoir, d’autres préfèreraient y voir installé leur propre pion pour le manipuler depuis l’ombre.
Laisse-moi te narrer une part de ce que je sais, le reste tu devras l’apprendre par toi-même. Mais songe bien que tu n’y verras pas plus clair, nos intrigues sont nos jeux et nous nous amusons à les rendre inextricables.

Notre bon Prince a octroyé l’Étreinte à un jeune noble, il y a de cela cinquante ans. Il lui a offert l’éternité, une partie de ses pouvoirs et un certain statut. Son père parti, le garçon fut le premier à réclamer ce qu’il pensait lui être dû. Quel jeune imbécile. Oh, ne le mésestime pas, il est doué, charismatique et brillant, des qualités qu’il faut bien reconnaître à tous ceux du clan des Patriciens.
Il incarne une jeunesse et une forme de renouveau qui plaisent aux enfants comme toi. Ne feins pas, je n’ignore pas que la vieillesse s’accompagne d’une certaine inflexibilité. Beaucoup parmi vous aimeraient voir choir la vieillesse décadente de son piédestal d’inertie. Je sais tout ça, j’ai été enfant moi aussi.
Mais, nous, Anciens, sommes dépositaires de l’ordre de notre société. C’est une chose essentielle que la stabilité, et je la préfère à la frénésie idéaliste des jeunes gens. La Sénéchale du Prince, son bras droit, soutient cette politique et voit d’un très mauvais œil les revendications de ce fringant louveteau. Elle au sang si prompt à s’enflammer n’admettra jamais de voir monter sur le trône doré un successeur si peu expérimenté. Le sang coulera et je suis curieuse de savoir duquel il s’agira.

Mais cela ne se limite pas à l’affrontement entre deux personnes, tu t’en doutes. Les clans Ventrue et Brujah sont déchirés de l’intérieur par cette question d’héritage. Si cela ne change guère des habitudes des Zélotes qui sont les premiers à embrasser leurs penchants de déraison, les Patriciens s’accrochent à leur façade d’unicité. Elle se fissure de nuit en nuit, nous le voyons tous. Leurs ennemis pourraient en profiter pour agir alors. L’orage approche mon petit, tâche de rester tapi dans ton trou, hors de sa portée.

D’autres acteurs se mêlent à tout ceci, ils tissent chacun de leur coté pour former tous ensemble une histoire plus grande qui nous dépasse tous.
Tu n’es pas sans savoir que notre race a accueilli il y a quelques siècles de nouveaux frères qui sont, par magie, parvenus à se conférer le Baiser. Les Sorciers ont fait couler beaucoup de sang pour réussir ce miracle. Y compris le notre. Ils sont jeunes, ignorants mais ont la qualité dangereuse d’être intelligents. Une de leur fondation est même installée en ville, au vu et au su de tous. Le Prince concevait pour eux une franche hostilité mais il a daigné les accepter en ville par crainte d’une guerre ouverte. Même lui n’aurait pu se dresser seul face à cette armée d’abominations façonnées avec notre chair, ainsi que celle des Animaux et des Démons. Nos trois clans pourraient être appelés à s’unir dans les nuits qui viennent pour laver cet affront. Les rues de Paris ruisselleront-elles du sang des Tremeres ? La mélopée des piaillements de ces porcs me serait si agréable. Que viennent donc les rejetons de la vengeance et qu’ils fassent payer à ces imposteurs le prix de leurs ambitions.

Tu vois, notre monde secret s’agite ; il bouillonne d’un tumulte prêt à exploser. C’est une chance pour toi car les révolutions amènent souvent de grands changements dans les rapports d’autorité : les grands tombent, les petits prennent leur place et un nouvel ordre nait.

Moi, je suis ici, sous terre, à vous regarder vous agiter, et cela m’amuse. Quant à toi mon enfant, ton avenir s’écrit encore. Où te situeras-tu dans cette gigantesque tempête ? Je suis tellement curieuse de ce qui t’attend. Va, maintenant, ne me laisse pas attendre plus, je veux connaître.
Pars, mignon. Voici mon ultime cadeau, ma dernière mise en garde.

N’oublie jamais que Paris est une ville gourmande de la chair de ses enfants maladroits. Ses pièges sont sournois, ses manières perfides, mais son appétit est d’une sincérité bestiale. Paris attend le moindre de tes écarts pour te dévorer, tâche de ne pas lui laisser l’occasion de se repaître de ta charogne.
Tâche de lui survivre nuit après nuit avec éclat. Ou tu rejoindras les ossements de tous ceux ayant échoué avant toi.

Adieu, mon enfant, que mes vœux t’accompagnent."