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 Cécilia

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Cécilia la Douce

Cécilia la Douce

Brujah - Haut ClanBrujah - Haut Clan

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MessageSujet: Cécilia    Cécilia  Gorl10Ven 5 Juil - 14:23

Fiche de présentation


Cécilia la Douce


Informations


  • Nom : La Douce
  • Prénom : Cécilia
  • Infant de : Octavius
  • Sire de : Aucun
  • Lieu de naissance : Née en 935, dans ce qui sera plus tard les Baronnies du Dauphiné.
  • Date de l'Etreinte : L'an 959.
  • Age visible : Un peu plus de la vingtaine.
  • Age réel : 286 ans, dont 264 ans de non-vie.
  • Clan : Brujah .
  • Génération : Huitième
  • Domaine : Rosans, en Provence.
  • Disciplines :
    (Claniques) Célérité ••••• Puissance •••• Présence ••
    (Hors-clan) Augure ••





Caractère

L’un des premiers faits qu’il y a à saisir pour comprendre Cécilia est qu’elle est une parfaite représentante de son clan. La Sénéchale manie aussi bien l’épée que la ferveur, et excelle autant dans son rôle de guerrière que d’érudite. À l'instar des siens, elle possède une nature profondément idéaliste ; la Brujah s’abandonne ainsi souvent à de douces rêveries, et ce sont elles qui justifient le code de conduite morale de la Caïnite. Comme elle prêche avec ardeur ses convictions, tous les sacrifices sont bons à ses yeux, tant que cela peut servir ses idéaux. De là en découle une dureté dans certaines de ses décisions qui contraste violemment avec la douceur que certains imprudents voudraient lui attribuer en toute circonstance.
Pour autant, Cécilia est bien loin d’être un monstre inhumain. Elle considère simplement que certaines causes méritent qu’on leur consacre tout, y compris des vies s’il le faut. La culpabilité l’étreint parfois, car elle se sait criminelle sous bien des égards, mais selon elle, tel est le prix à payer pour donner une réalité aux rêves.

Ce conflit intérieur n’est toutefois que rarement perceptible, et peu savent quel est le fruit de son combat. Elle est davantage connue comme la Sénéchale avenante mais capable de véhémence, qu’en tant que rêveuse coupable.
Plus habituellement, les attitudes de Cécilia se retrouvent dans le nom qui lui a été attribué. « La Douce » est généralement charmante, pointilleuse sur l’étiquette, mais d’une compagnie agréable tant que l’on n’en vient pas à l’irriter. Les siècles lui ont permis de refréner sa colère avec plus d’efficacité que lors de sa jeunesse, mais son sang de Zélote ne demande qu’à s’enflammer en tout instant.
Les quelques rares fois où sa patience est véritablement mise à bout, son surnom de « Douce » se transforme en grinçante ironie.

En tant qu’autorité Caïnite, Cécilia se distingue des clans habituellement amenés à diriger, tels que les Ventrues ou Lasombras. Si ceux-ci estiment que le pouvoir leur est dû, Cécilia pense qu’il se mérite davantage, et qu’il doit être mis au service d’un engagement, plutôt que d’être une fin en soi. Sa position, elle l’a arrachée au prix d’efforts et de sang, et elle la défendra avec la même fermeté. Traditionaliste convaincue, Cécilia a toutefois gardé une autonomie d’esprit ; si elle a rallié l’autorité du Mathusalem Alexandre, elle conçoit vis-à-vis du Prince de la méfiance, principalement en raison de son clan. Elle se souvient souvent des murmures de son Sire lui narrant Carthage et sa chute par les Ventrues. Malgré ce sentiment, elle n'éprouve envers eux qu’une forme de prudence, rarement teintée d’hostilité. Pour la Sénéchale, l’ordre même rigide des Patriciens vaudra toujours mieux que le chaos désiré par certains clans. Si l’inertie est une ennemie, le désordre est bien plus dangereux.
Les espoirs sont fragiles, et nécessitent de la stabilité pour engrais. Cela suffit pour faire d’ennemis d’hier les alliés d’aujourd’hui, mais Cécilia n’oublie pas les crimes d’antan, même ceux auxquels elle n’a jamais assistés.
Cécilia le sait bien : il n’est rien de plus triste qu’une mélancolie pour ce qui fut beau autrefois, et ne le sera plus jamais à présent. La Brujah médite sur ce passé dont elle n’a hérité que le souvenir d’autrui, et elle se souvient alors de ce qu’elle veut construire pour les nuits et siècles qui s'annoncent.  


Physique

Il est des fleurs délicates, et douces, qui pourtant sous leur apparente fragilité cachent des épines acérées. Cécilia est la parfaite illustration de ce principe ; bien que de prime abord avenante et respectueuse, il se cache sous son doux minois un orage qui couve.
Elle est une belle femme, cela est certain ; si elle ne possède pas la grâce superficielle d’une noble de ce siècle, son visage encore enfantin cerclé par ses cheveux noir corbeau ainsi que son regard, d’une grande limpidité malgré la noirceur de ses prunelles, conquiert facilement les cœurs, car il se dégage d’elle le charme d’une femme enfant. Elle donne l’impression, presque inconsciemment, d’appeler à l’aide, si bien que cette fausse vulnérabilité abuse les moins attentifs.
Pourtant, ceux qui la connaissent suffisamment ne se laissent plus duper par cette trompeuse impression, puisqu’il est évident qu’ils ont assisté au moins une fois à ses crises de colère. Dans ces instants où la Fureur est maître mort, Cécilia est méconnaissable ; ses traits se durcissent, son regard paraît pouvoir incinérer quelqu’un sur place, et sa voix suave se recouvre d’une hystérie difficilement contrôlée d’où se déversent les pires injures et menaces.

Fort heureusement, cet aspect de sa personne ne tient pas de l’évidence, et peu sont ceux à en avoir eu un fulgurant aperçu. En temps normal, la Sénéchale ne se départit pas de son calme, bien qu’il lui soit presqu’impossible de masquer ses émotions les plus fortes. En dépit son âge, Cécilia n’a nullement le talent d’acteur de certains de ses congénères, et c’est une faiblesse que quelques uns ont tenté d’exploiter, pour généralement le regretter amèrement par la suite. Bien que cette spontanéité puisse se révéler désavantageuse, la Brujah n’est certainement pas arrivée à ce poste par pur hasard. Il serait purement suicidaire de penser que son naturel est synonyme imbécillité ; il révèle simplement sa totale inaptitude aux mondanités.  

De ce même fait, Cécilia ne s’embarrasse guère des goûts vestimentaires du Treizième siècle, à moins d’y être réellement obligée. Là où les femmes mortelles prennent grand soin de se coiffer, Cécilia relâche sa propre chevelure en une cascade d’ébène, qui parfois lui vaut des regards de dépréciation de la gente humaine. Pareillement, elle préfère s’habiller de robes simples rehaussées de quelques coquetteries, comme des bijoux, plutôt que de s’empêtrer dans des habits inutilement complexes, dont les codes vestimentaires dépassent sa compréhension. Bien plus ancienne que ces nouvelles modes de distinction sexuée, Cécilia ne fait guère l’effort de s’y adapter, comme beaucoup de Caïnites qui savent que leurs efforts seront souvent vains, les modes passant trop vite à l’instar des siècles.



Histoire



Acte I

Le soleil était proche de son zénith et dispensait sa lumière sur la région. Ses rayons de lumière chaleureuse accentuaient les ombrages, si bien que les contours des monts, vaux et vallées, se dessinaient avec précision d’orfèvre. Quelques vents soufflaient ci et là, faisant bruisser la cime des arbres, et s’agiter les quelques oiseaux qui s’y perchaient. Un tableau étincelant, qu’on eût pu croire aisément idyllique, si seulement il n’y avait, portés par les souffles d’air, les cris d’une femme à l’agonie. Là, sur cette colline, dans l’un des bâtiments qui émergeaient de terre, une souffrance immense pulsait au rythme de hurlements déchirants. Autour de la demeure s’étaient réunis quelques gens ; certains l’air soucieux, d’autres paraissaient plus affolés, quand les derniers se gorgeaient simplement de la cacophonie en s’imaginant le spectacle qui avait lieu à l’intérieur. Une vieillarde surgit du pas de la porte en sifflant, un linge imbibé de sang entre les mains, qu’elle agita dans la direction des badauds. Elle les traita d’inutiles et de vauriens, puis repartit d’où elle venait, furibonde. Mais sa voix hargneuse ne fit que peu de dupes : son ton était rempli d’inquiétude, sous couvert de colère.
Un nouveau cri retentit. Il fut si puissant que nombre de curieux reculèrent d’un pas, comme s’ils avaient été frappés par une brutale déferlante. À nouveau, une autre complainte, qui fut plus longue à s’évanouir que la précédente. Quant elle se tut enfin, et que suivit un épais silence, il plana la sensation d’une douleur immense. Des pleurs s’élevèrent, et mirent fin à tout sentiment d’attente. Une servante émergea de la maison en tenant dans ses mains un linge, blanc celui-ci, et dans lequel s’égosillait les sanglots d’un nouveau-né. Elle s’éloigna de la maison, l’enfant pressé contre elle. Si les mugissements du nourrisson finirent par devenir inaudibles, ceux du père resté au chevet de son épouse ne se tarirent pas. On se pressa un peu plus à la porte, et on y vit un homme à genoux près d’un lit, où se trouvait étendue la mère. Son visage figé en une expression angoissé chassa les dernières espérances. Sa poitrine se souleva légèrement puis son regard s’éteignit. La mort vint par un beau matin d’été.
L’époux releva la tête, ses doigts vigoureux pressant la main gracile de la défunte, comme pour la sommer de revenir. Il n’en fut rien. Son chagrin fiévreux retentit jusqu’à très tard dans la nuit, et il fallut l’emmener de force loin de la source de son désespoir.

L’épouse trouva sa dernière demeure à l’ombre d’un chêne dès le jour suivant. La cérémonie fut austère, mais non dépourvue d’une certaine beauté : les plus sensibles retinrent ce tableau saisissant de ce grand guerrier penché au dessus du cairn mortuaire, la mine grave, alors que la bise soufflait et les rossignols chantaient, le tout peint à la lumière du midi.
On ne nomma l’enfant qu’après l’enterrement, au cours de son baptême qui eut lieu peu après. Le nourrisson né fille devint Cécilia, cadette de Clildéric le Fort, au moment où le prêtre versa l’eau sur son front. Mais la joie de la naissance de ce petit être n’apaisa que peu le chagrin du père trop conscient du prix qu’il avait eu à payer. Les deuils qu’il avait à faire étaient terribles de par trop d’aspects pour pouvoir se réjouir. Celui de son Isolde, et celui de ses espérances aussi. Une fille, encore, qui rejoignait la fratrie de ses trois ainées. L’homme se mordit férocement la langue pour ne pas pleurer lorsqu’on lui remit son enfant.

La jeune Cécilia fut rapidement confiée à la vieille Cunégonde, à la fois sage femme, herboriste et nourrice, qui avait vu grandir chaque enfant de Clildéric. Ce dernier ne se préoccupa que peu des premiers mois de sa fille, trop pressé d’oublier sa tristesse au milieu des batailles et des cuisses de filles de joie. La guerre lui permettait de s’enivrer du sang, de se sentir l’âme d’un chef prêt à tout pour asseoir son pouvoir encore fragile, et les femmes de se sentir homme, chose qui lui avait été ravie naguère.
De son coté, Cécilia grandit bien, et ce malgré l’indifférence de son père. Les sœurs ainées, Clotilde, Guenièvre et Eulalie choyèrent l’enfant plutôt que de la rejeter comme le faisait Clildéric. Là où le guerrier voyait dans sa cadette la cause de la mort d’Isolde, ses filles la considéraient comme l’ultime cadeau de leur mère avant que le trépas ne l’emporta. Avis partagé par la vieillarde Cunégonde qui ne manqua pas de sermonner sèchement le patriarche à ce propos. Cela fut vain néanmoins, car Cécilia fit ses premiers pas accompagnée du spectre d’une défunte et de l’ombre d’un père absent.

Pour autant, sa jeune enfance ne fut pas foncièrement pénible. Là où d’autres eurent la malchance de naître dans un foyer de miséreux, la fillette avait dans ses veines le sang d’un seigneur en devenir. Clildéric, à défaut de fournir de l’affection, compensait par le don d’un certain confort. Soldat émérite doté d’une fortune appréciable, il avait sous son autorité une vingtaine de soldats et leur famille, et s’était autoproclamé propriétaire des environs. S’il devait souffrir des méfaits de bandits et de la rivalité constante avec les seigneurs voisins, sa réputation se fit grande au fil des mois, tout comme les conditions de vie de ses gens et de sa famille. La motte castrale depuis laquelle il régnait gagna en ampleur. Attirés par l’importance croissante du domaine, d’autres vinrent le rejoindre, et tous se trouvèrent une utilité. Il ne fallut qu’à peine quelques six années pour que la férocité de Clildéric transforma la colline en véritable bastion fortifié, faisant ainsi de l’homme l’un des innombrables acteurs de la féodalité naissante.

Cécilia, à présent fillette pleine d’un enthousiasme enfantin, ne cessait jamais d’étonner son entourage par sa curiosité inextinguible. Lorsqu’accompagnée de sa nourrice, elle voyait passer des hommes armés, il fallait la refreiner intensément pour qu’elle ne se rua sur ceux-ci afin de les noyer sous les interrogations. Chaque chose vaguement intrigante la plongeait dans une perplexité excitée que l’enfant devait abreuver le plus rapidement possible. Tout était motif à s’émerveiller : de la forme des nuages dans le ciel à celle des outils du forgeron en passant par le nom des différentes herbes ou celui des armes. L’enfant voulait tout voir, tout savoir, avec empressement. Hélas, rares étaient les réponses fournies à réellement la satisfaire. Quand elle demandait « Pourquoi ?», on lui répondait « Parce que », et on la laissait ainsi, pantoise, et toujours bouillonnante de ses interrogations. Alors, elle se tournait vers l’antique Cunégonde, qui si elle savait peu de choses hormis les usages de certaines plantes, se révélait être une conteuse prodigieuse sur les mystères du monde.
Si le vent soufflait, c’était grâce aux montagnes, qui étaient autant de géants endormis respirant dans leur sommeil séculaire. S’il y avait la nuit, c’est parce que le monde était l’œil de Dieu, et chaque battement de paupière le couvrait de ténèbres l’espace d’un instant. Cunégonde avait nombre d’histoires à narrer, et trouvait toujours chez Cécilia une auditrice des plus attentives. Chaque soir, au coucher, l’enfant abreuvait son imaginaire de ces légendes, et les tint pour vraies.

Le temps fila, et ce fut pour le plus grand malheur de la jeune fille, qu’on lui narra d’autres histoires. Les contes de la sorcière de bois ou de la pierre chantante laissèrent place à d’autres plus terre à terre. Elle était née femme, et lorsqu’elle eut dix ans, on commença à l’entretenir de mariage. La tâche qu’il incombait à son sexe se cantonnait à s’unir à d’autres familles afin de renforcer les alliances, et à mettre bas des héritiers. Si le jour du mariage de Clotilde, la plus vieille de ses sœurs, Cécilia fut enchantée par le faste de la fête, l’idée même de devoir enfanter la mettait dans un terrible état d’appréhension. C’était ceci qui lui avait ravi sa mère, et l’affection de son père. Chaque fois que ce dernier regardait la jeune fille, elle percevait dans son regard tout le poids de ce terrible fardeau, et sa peur augmentait.
Cunégonde lui apprit avec le plus grand sérieux l’usage des plantes médicinales, quant à ses deux sœurs restantes, elles lui prodiguèrent des leçons sur la couture et les arts du repas. Cécilia dut se plier à ces exigences malgré alors qu’elle ne fut peu désireuse de le faire. Elle voyait les hommes combattre, changer le monde, tandis qu’elle se retrouvait reléguée dans les cuisines.
Un jour, où la jeune fille se plaignait encore de ces activités, son père passa par là, l’entendit, et lui porta un intérêt dont elle se serait volontiers passée. Il lui ordonna sèchement de le suivre pour la conduire jusqu’au lieu où les hommes s’entrainaient. Là, Clildéric lui mit dans les mains une épée qu’elle ne put à peine soulever, et débuta un duel gagné d’avance. Au premier échange, Cécilia fut jetée dans la boue, effrayée, sale et humiliée. Son père qui la jaugeait lui lança que si les femmes ne combattaient pas, c’est qu’elles étaient trop faibles pour soulever une arme. Il s’en fut, laissant là sa fille en pleurs. Lorsque la vieille Cunégonde eut vent de l’affaire, sa véhémence fut accueillie par Clildéric d’une violente claque. Suite à cet événement, ni l’herboriste, ni Cécilia, n’osèrent plus jamais contester. Si la vieillarde s’en remit plutôt bien – elle en avait vu d’autres -, l’enfant se cantonna au silence durant des jours, et lorsqu’elle retrouva enfin la parole, on prit conscience que sa curiosité avait été complètement étouffée par le traumatisme. Elle devint docile, son enthousiasme littéralement disparu. Elle se pliait sans rechigner aux tâches les plus pénibles sans plus jamais s’intéresser à quoi que ce soit.

Au cours de ces années mornes, ses deux autres sœurs quittèrent la maison, à leur tour mariées, et la vieille Cunégonde mourut, laissant Cécilia bien seule. Son père ne s’adoucit pas, mais il s’assura qu’elle ne manqua de rien. Peut-être conçut-il même des regrets pour la punition infligée à l’enfant, car il lui proposa d’apprendre à manier l’arc, mais le mal avait été fait, et face au total désintérêt de Cécilia pour la chose, il finit par abandonner. Lorsqu’elle fut âgée de quinze ans, on annonça à la jeune fille la date de son mariage, qui aurait lieu dans quelques mois, auquel ne répondit la jeune fille que par une morne apathie. Ni joie, ni angoisse, mais peut-être était-ce là le signe d’une plus profonde détresse que peu soupçonnait. Son futur mari était le fils d’un homme dont la réputation valait celle de Clildéric, si ce n’est plus. On le disait capable de terrasser dix soldats en un coup, et que sa force était à la mesure de sa férocité de conquête. En quelques années, il avait fait sien un vaste territoire, pour y régner. Par calcul, Clildéric avait estimé qu’il était plus intéressant de compter une telle force de la nature parmi ses alliés, que ses ennemis. Cécilia dont toute idée de rébellion avait été détruite ne souffla mot sur cette décision.
Quelques semaines après l’annonce de la nouvelle, on fit rencontrer les futurs époux. La jeune fille en passe de devenir une femme pouvait se targuer – bien qu’elle ne le fit jamais – de conquérir les cœurs avec une aisance remarquable. Elle plut à son futur époux, à n’en pas douter, qui remercia secrètement la Providence de ne pas lui avoir imposé femme trop laide. Quant à lui, s’il possédait lui aussi un charme certain, de par ses cheveux blonds et ses yeux clairs, il dégageait une espèce de suffisance désagréable qui mit Cécilia profondément mal à l’aise. Bien que parlant peu, cette dernière voyait beaucoup, et elle décela sans mal chez le garçon l’arrogance d’un enfant roi. Quant au père, Clotaire d’If, son apparence justifiait à elle seule sa réputation. D’une taille peu commune, son visage austère et ses yeux froids étaient connus pour glacer d’effroi tous ceux qui avaient l’audace de le contrarier. À ses cotés, Clildéric paraissait presque inoffensif. Tout comme son fils, Clotaire apprécia le charme naissant de la cadette du Fort, et tous deux scellèrent la promesse de  mariage par un repas fastueux.

Les quelques semaines qui précédèrent la cérémonie eurent toutes les allures d’un cauchemar éveillé. Depuis longtemps, Cécilia avait été préparée à ce que tel jour arriva : ses sœurs lui avaient montré l’exemple, et Cunégonde expliqué les raisons du mariage. La jeune fille avait accepté ce destin. Autrefois, elle rêvassait souvent du mariage, le voyant beau et grand, portée par la naïveté d’une enfant. À présent, elle était lucide, et n’aspirait plus qu’à ce que tout ceci se termina vite.
Le temps s’écoula promptement ; en un instant, Cécilia se retrouva couronnée du titre d’épouse. La cérémonie eut lieu sur les terres de Clildéric qui ne manqua pas d’étaler le faste qui était sien. On n’eut guère à reprocher à Cécilia son manque d’enthousiasme, puisqu’elle joua le jeu des conventions à merveille. Tout passa si vite, comme une ivresse, la jeune fille n’en garda que de souvenirs flous. Elle eut l’impression de fermer les yeux sur la scène des vœux face au prêtre, et de les rouvrir devant sa nouvelle demeure. Epuisée par cette succession ininterrompue d’événements, Cécilia se laissa aller à la langueur : elle entraperçut à peine les traits de sa nouvelle belle-mère, retint peu de noms parmi les servants, et accueillit avec reconnaissance le confort de sa couche. Mais d’autres intérêts se jouaient autour d’elle. Dans la balance, ses envies ne pesaient guère. Son mari vint, ce soir là, afin de réclamer son droit de nouvel époux. Cécilia ferma simplement les yeux quand il s’allongea à ses cotés. Elle pria pour que l’aube vienne.  

Sa nouvelle existence se révéla moins terrible qu’elle ne le craignit. Son époux ne fut jamais rustre, bien que souvent fanfaron et véritablement pressé de concevoir un héritier ; Clotaire sous ses airs impitoyables et ses colères réputées pouvait se montre affable, bien que peu loquace ; incontestablement ce fut dans sa belle mère, Malvina, que Cécilia se trouva une amie. D’un charme avenant, Malvina possédait ce don rare de décrisper n’importe qui, son mari compris. Sa prévenance associée à un humour piquant, mais jamais insultant, ainsi qu’une grande clairvoyance sur ses semblables lui permettaient de se créer une place toute particulière dans le cœur des gens. On craignait Clotaire, on aimait Malvina ; deux pendants d’une même autorité.
Aux cotés de cette femme qui avait toutes les allures d’une nouvelle mère, Cécilia se sentit revivre, loin de l’oppression indifférente de son père. Malvina déploya nombre d’efforts pour extraire la jeune fille de son silence, et y parvint. Rapidement, comme si ces années grises n’avaient existé, Cécilia s’ouvrit à ce qui l’entourait. Sa curiosité trop longtemps tue s’épanouit à nouveau comme une fleur restée close après un long hiver. Elle visita les terres aux cotés de Malvina, se trouvant même quelques lieux tel que le vieux chêne, où elle prenait plaisir à y revenir. Cécilia eut aussi tout le loisir d’explorer la vaste demeure qui était à présent sienne.  Loin du fort en bois de son père, ce château-ci était en pierre, un édifice qui paraissait imprenable de l’extérieur. Malvina lui raconta que le bâtiment avait été construit suite à une inspiration nocturne de Clotaire. Une idée que beaucoup pensèrent folle, jusqu’au jour où le château fut construit. Là, tous durent admettre que la forteresse relevait du génie militaire.
Cécilia parcourut l’ensemble, avec Malvina ou seule, et put saisir précisément la chance qu’elle avait eu de se retrouver liée à la fortune de cette famille, puisqu’il était évident que rares étaient les seigneurs à pouvoir se payer un tel confort.

C’est au terme de sa première année passée dans le château que Cécilia fit la rencontre de l’Etranger. Une nuit, tandis que le sommeil la fuyait, la jeune fille quitta sa couche pour se rendre dans les cuisines, guidée par une petite faim honteuse. Sur le chemin, elle passa devant l’une des salles dédiée au repas et prit conscience d’éclats de voix. Portée par sa curiosité, elle se pencha discrètement afin d’apercevoir la source du bruit. Elle vit un homme lui tournant le dos, assis sur un banc, qui soupait aux sons qu’il émettait, ce tout en parlant à d’autres personnes face à lui. Cécilia reconnut la silhouette massive de Clotaire. Curieusement, celui-ci se tenait debout derrière un homme, lui aussi attablé, que Cécilia n’avait encore jamais vu. Les cheveux coupés courts, de couleur noire, il avait les traits anguleux, sans être grossiers, rehaussés par des yeux très clairs. Son regard perçant se déplaça vivement vers Cécilia, avant même qu’elle ait pu s’esquiver dans les ombres. Le cœur battant à tout rompre, la jeune fille s’éloigna rapidement de la porte, en s’assurant de rester discrète.
Mettant de coté son appétit, elle regagna son lit, et ne parla de l’événement à personne le lendemain. Clotaire lui-même n’en fit pas mention, si bien que la jeune femme se prêta à espérer de n’avoir pas été vue.
Lorsque la nuit fut venue, Cécilia se sentit saisie d’une curieuse impatience, et quitta son époux pour s’aventurer à nouveau seule dans les froids couloirs de la demeure. Elle fut comme guidée par une volonté extérieure, qui la mena jusqu’à une petite salle circulaire à la décoration simple. Cécilia se trouva bien sotte de se trouver ici sans raison, jusqu’à prendre conscience de la présence de l’homme de la nuit dernière, assis dans un des deux fauteuils face à l’âtre d’une cheminée d’où s’agitaient les flammes d’un feu. Lorsque leurs regards se croisèrent, la jeune fille se figea sur place, paralysée par l’angoisse soudaine qui la saisissait. La peur ingénue d’une enfant prise en faute.
L’homme haussa un sourcil, ses yeux clairs ne brillant d’aucune hostilité. D’une voix grave aux intonations de miel, il invita Cécilia à s’asseoir sur le siège restant. Elle s’exécuta maladroitement, hésitante dans l’attitude à adopter. L’homme lui était parfaitement inconnu, pourtant il se dégageait une prestance de sa personne donnant l’impression que les lieux lui appartenaient, et qu’il en était le maître. À ce sentiment s’ajouta le magnétisme de l’inconnu qui acheva d’intimider la jeune fille. Il ne se présenta pas, peut-être n’en conçut-il pas la nécessité, ou était-ce là signe d’une certaine méfiance. En revanche, il parut savoir qui était Cécilia, d’où elle venait, et le rôle qu’elle occupait ici. Chose étonnante, il s’excusa de n’avoir pu la rencontrer plus tôt, d’autres affaires urgentes l’ayant conduit à négliger une partie de ses devoirs. Cécilia accepta les excuses, sans trop comprendre. La conversation dériva sur le bien être de la jeune fille en ces murs, si elle s’y sentait bien, et comment avait-elle vécu l’éloignement des siens. En demoiselle sage, Cécilia affirma qu’elle n’aurait pu rêver mieux, propos qui n’eut rien d’un mensonge. L’homme eut l’air des plus satisfaits. Timidement, elle osa lui demander qui il était. Il éluda la question avec douceur en répondant qu’il était de la famille, et qu’elle n’avait rien à craindre de lui. Sur ces mots rassurants, il congédia poliment Cécilia, et lui promit qu’ils se reverraient un jour.
Cette nuit-là, l’enfant regagna sa couche sans trop savoir si elle devait être excitée ou effrayée par cette rencontre.

Le temps passa, et Cécilia ne revit pas l’Etranger. Elle se prêta même à croire que peut-être cette aventure fut le fruit d’un songe. Ce souvenir étrange écarté, Cécilia se consacra à son quotidien simple de jeune fille privilégiée. Elle assistait Malvina dans ses tâches de maîtresse de maison, activités terrestres guère enthousiasmantes à vrai dire, mais qui seraient un jour le lot de Cécilia. De leur coté, les hommes s’adonnaient aux plaisirs sauvages de la guerre, afin d’accroître  leur emprise sur la terre. La région bouillonnait d’histoires guerrières, contées par les troubadours au son de quelques notes. Sous beaucoup d’aspects, la jeune fille fut préservée des conséquences de cette fièvre de bataille, et profita uniquement de ses bienfaits. Clotaire devint plus riche et plus puissant, tout comme son propre père selon les rumeurs rapportées.
L’automne prit fin, l’hiver s’installa dans les campagnes, et avec le froid ainsi que la peur. En cette sombre période, ironiquement la plus claire de par son manteau immaculé, il devint de plus en plus flagrant que Cécilia portait le fruit de son époux. Sa belle famille eut grande joie à saisir la forme de plus en plus courbe du ventre de la jeune fille, à l’inverse de celle-ci qui conçut une angoisse croissante à l’image de l’enfant à naître. Elle ne se rappelait que trop de ce qui avait tué sa mère.
La finalité de ces mois d’inquiétude ne fut pas aussi terrible qu’escomptée. Cécilia enfanta dans la douleur, une souffrance plus terrible qu’elle ne l’aurait cru possible, mais celle-ci passée, il ne demeura que la joie de serrer entre ses bras son bébé. Il s’agissait d’une fille, qui fut nommée Blanche en raison des importantes chutes de neige qui eurent lieu quelques heures avant sa naissance. L’enfant fut rapidement baptisé, confié aux nourrices, et la vie dans la demeure reprit rapidement son cours.
Tout naturellement, Cécilia consacra la plupart de ton temps à sa fille. Elle se découvrit des sentiments d’affection pour ce petit être qui quelques semaines plus tôt la terrifiait encore. L’idée de pouvoir toucher la chair de sa chair la mettait dans un état de joie perplexe. Elle n’eut toutefois guère à se soucier du bien-être de l’enfant de par l’armée de servantes dépêchée pour s’en occuper.

Elle revit l’Etranger pour la troisième fois, quelques temps après. La scène se déroula une nouvelle fois de nuit. Portée par une insomnie suite à une crise de larmes de sa fille, Cécilia entendit du bruit venu du couloir. Elle quitta sa chambre et vit à quelques mètres de sa porte la silhouette du curieux visiteur qu’elle reconnut sans effort. Alors même qu’il lui tourna le dos, il saisit la présence de Cécilia en un instant et se tourna vers elle. Il n’avait guère changé hormis ses traits, plus creusés, comme sous l’effet d’une maladie. Il s’approcha  mais Cécilia, poussée par une détermination surprenante, le somma de ne pas s’avancer plus avant. Elle se tint droite devant la porte derrière laquelle dormait sa fille tout en le défiant du regard. L’homme s’immobilisa, surpris. Il tenta de la rassurer mais Cécilia ne voulut rien entendre tant qu’elle ne saurait qui il était, et quel était son nom. La mine de l’inconnu s’assombrit et il parut sur le point d’exploser de fureur lorsque brutalement, ses yeux se mirent à pétiller d’intérêt. Il répondit d’une voix aimable qu’il avait des affaires à traiter en cette nuit, mais que Cécilia pourrait venir le trouver dans la salle d’armes, la nuit prochaine, si elle le souhaitait. Il répondrait alors à ses questions. Il réaffirma qu’elle n’avait nulle crainte à concevoir envers lui, la salua, puis partit. Déroutée par la tournure de la situation, Cécilia ne sut trop quoi dire ou faire, et le laissa s’en aller.
Elle garda secrète cette rencontre pour décider, le soir suivant, de se rendre au lieu de rendez-vous comme prévu. La jeune femme avait parfaitement conscience des dangers d’une telle décision mais elle était lasse de ne pas savoir, et il lui semblait que si l’homme avait voulu lui faire du mal, il l’aurait fait depuis bien longtemps. Elle se présenta dans la salle d’armes quelques heures après le coucher du soleil pour y trouver l’homme affairé à s’entraîner à l’épée contre un mannequin de bois. Le voir agiter dextrement la lame ne mit guère en confiance Cécilia, qui serra effleura le manche du couteau passé à sa ceinture pour se rassurer. L’Etranger rengaina son arme, l’accrocha au mannequin et porta son attention vers la jeune femme.

Ils parlèrent pendant plusieurs heures. Il se nommait Octavius Lucilius Isatis. Un nom aux consonances étranges qui évoqua à Cécilia d’exotiques contrées. Il lui expliqua être le plus précieux allié de Clotaire et de sa famille, ce qui faisait de lui l’invité de marque en la demeure. Il était en droit d’être ici car il avait contribué à construire la richesse du seigneur. La jeune femme ne sut trop s’il s’agissait de mensonges, de fierté mal placée ou de l’entière vérité, pourtant elle décida tout de même d’accorder crédit à ces déclarations. Portée par une confiance grandissante, elle interrogea Octavius sur ses origines, sa vie, mais n’en arracha que quelques bribes. Il lui répondit simplement venir de très loin, d’un ailleurs détruit depuis longtemps. Ils discutèrent de tout, de rien, comme deux amis. Quand l’aube fut proche, l’homme annonça devoir partir. Il ajouta ne pas avoir eu conversation aussi agréable, et souhaita en avoir d’autres à l’avenir. Cécilia accepta la proposition car plongée dans une espèce d’état d’ivresse, entre exaltation et rêve éveillé. Ils se séparèrent, chacun la tête pleine de promesses.

Ils se retrouvèrent une fois par mois, durant de longues années. Au cours de ces rendez-vous, Cécilia découvrit chez Octavius de formidables qualités de conteur. Il lui narra des histoires venues de très loin, tant dans l’espace que le temps. Il parla des contes des peuplades de l’Est et de celles du Sud, des monts et des déserts, de la glorieuse et décadente Rome. Il lui parla de Carthage, aussi. Un sentiment étrange semblait se découler de lui chaque fois qu’il en prononçait le nom. Un mélange de tristesse et de regret. Selon lui, un homme un jour lui avait raconté l’histoire de Carthage la Grande, et ses mots l’avaient touché en plein cœur. Cécilia s’abreuva de tout ceci : des contes, des merveilles, de la nostalgie de l’homme aussi, qu’elle fit sienne, comme ravie de regretter des choses disparues qu’elle n’avait jamais vu. Ces histoires, toutes ces histoires, coulèrent dans ses veines, habitèrent son esprit. Elles ne la quittèrent jamais.

Elle devint femme, elle devint nouvellement mère, et elle fut heureuse, à l’écart de tous les bouillonnements du monde extérieur. Son seul souci fut de donner naissance à une autre fille, Flor, dont la naissance fut accueillie dans la joie mais teintée d’une forme d’inquiétude. L’héritier mâle ne venait pas. Cela n’entacha en rien le plaisir de ces années. Les batailles étaient loin d’elle, et ni les maladies, ni l’hiver, ne parvenaient à s’infiltrer dans le château. Hélas, tout ceci se termina dans le sang, comme pour faire payer ce trop plein de bonheur.
Sur ses vingt trois ans, Cécilia tomba de nouveau enceinte, enfant qu’elle porta à son terme jusqu’au milieu de sa vingt quatrième année. L’accouchement eut lieu tard dans la nuit, et n’aurait pu être plus sombre. La douleur de l’enfantement fut intolérable, pire que les deux fois précédentes. Au fur et à mesure du travail, la jeune femme se sentit faiblir alors que la détresse visible sur le visage des servantes ne la rassura en rien. L’enfant fut là dans un dernier effort, mais Cécilia sut que cela avait été en vain. On ne lui annonça pas, mais elle le devina d’instinct, il était mort né. Elle ne l’avait que peu de fois senti bouger, elle ne fut guère surprise, mais quelque chose se brisa en elle. Un voile noir couvrit ses yeux comme un linceul.
Le reste fut flou. Elle entendit un fracas, des cris, puis se sentit saisie brutalement, emportée par des bras puissants. Un liquide chaud coula dans sa gorge, et Cécilia se sentit revigorée, progressivement soignée des meurtrissures de l’enfantement. Mais il y avait un poison dans son âme qui ne pouvait être aussi aisément soigné, qui l’entraînait peu à peu dans l’obscurité rassurante. Plus rien ne compta pour elle en cet instant, hormis cet enfant mort. Un fils, Cécilia savait qu’elle venait de perdre un fils. Rien d’autres n’eut d’importance que le poids de cet échec, ni son époux, ni ses deux autres filles, ni même le reste. Il n’y eut bientôt plus que les ténèbres, et des cris, au loin.  





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MessageSujet: Re: Cécilia    Cécilia  Gorl10Mar 12 Aoû - 10:55




Histoire


Acte II

Cécilia s’éveilla après une éternité. Elle ouvrit les yeux sur le visage fatigué d’Octavius qui la regardait d’un air inquiet. Ses traits s’illuminèrent en constatant l’éveil de Cécilia, qu’il aida à se redresser. La tête lourde, les tempes battantes et la gorge sèche, la jeune femme se sentait des plus mal. Brutalement, tout lui revint tel un coup porté en plein cœur. Elle hurla de chagrin et Octavius eut grande peine à la calmer. Il était des blessures sur lesquelles les mots n’avaient nulle emprise, et que seul le temps pouvait cicatriser.
Alors il la laissa vomir sa peine toute la nuit, et la nuit suivante, et celle qui suivit aussi. Cécilia n’eut même pas conscience de son nouvel état ; le sang sur ses mains lorsqu’elle pleurait ne signifiait rien, pas plus que cette soif de plus en plus tenace, ou ce sommeil mort qui l’emportait à l’aube.
Progressivement ses larmes s’asséchèrent, la laissant vide et perdue, mais de nouveau réceptive à son environnement. Octavius revint vers elle et lui parla longuement, de sujets divers, censés la distraire. Les fois où elle eut soif, il la nourrit d’un sirop épais versé dans une chope qu’elle n’identifia pas, et but docilement. Au terme de cette semaine étrange, Cécilia émergea de cette semi-torpeur. C’est alors que lui apparut toute la bizarrerie de ces derniers jours.
Lorsqu’il fut sûr d’obtenir toute son attention, Octavius l’entretint avec douceur de certains détails qui appelaient des réponses. Lorsqu’il lui annonça sa nouvelle nature, Cécilia manqua de peu de chuter à nouveau dans un désespoir intense, mais son « père » parvint à la maintenir à la surface. Il éluda certains sujets, telle que la Bête, car se savoir immortelle et dépendante au sang demeuraient fardeaux déjà suffisamment lourds à porter. Octavius  lui révéla être vieux de plusieurs siècles, et être né sous l’Empire Romain. Il lui donna quelques autres éléments, tel que l’histoire du clan auquel elle appartenait désormais. Mais surtout, il lui confessa n’avoir jamais voulu une telle issue pour la jeune femme. Depuis longtemps, tissé depuis les ombres, son destin avait été tout tracé : elle aurait dû continuer à vivre dans la demeure sans rien connaître de son habitant secret, caché dans les tréfonds de l’édifice. Ecartée ainsi, elle aurait finalement donné naissance à un fils, qui aurait permis à la dynastie de Clotaire de s’épanouir. Ce dernier était le servant d’Octavius, sa main armée, mais aussi son débiteur. S’il était si fort et si redouté, une grande partie du mérite en revenait à son maître.

Mais, lui expliqua Octavius, une donnée inattendue s’était ajoutée au projet. L’homme avait vu en Cécilia un potentiel. Malgré lui, il s’y était attaché, ne voyant plus en elle simplement une mère, mais aussi un esprit vibrant d’une richesse qui ne demandait qu’à être exploitée. Alors, il avait dû choisir entre la laisser à moitié morte, sans aucune certitude qu’elle s’en remettrait, ou la transformer pour la sauver, mais la privant pour toujours de la faculté de porter un enfant. Ses ambitions ou Cécilia, sa décision fut vite prise.
Octavius n’aurait pu la blesser mieux lorsqu’il annonça que tous la croyaient morte, à présent hormis Clotaire, le seul au courant de l’affaire, qui n’avait pas compris. La colère de l’homme avait été grande mais le mal était déjà fait. Octavius dut laisser à Cécilia encore plusieurs nuits pour se remettre : au-delà du deuil de l’enfant né, il y avait aussi celui de son existence passée à faire. Loin des siens, loin de Dieu, une abomination non-vivante condamnée à errer, devant se nourrir de sang pour survivre.
Son Sire – puisque tel était le vocabulaire – parvint toutefois, à force de mots de miel, à éveiller un espoir. Tremblant, chétif, mais qui existait bel et bien. Cécilia lui était liée par le sang et par des forces plus vieilles que l’Humanité : elle était sa semblable, sa fille, son héritière. Octavius avait un devoir d’éducation vis-à-vis d’elle, et il ne pouvait l’écarter, pas même face à la peine de la jeune femme. Il lui fit une promesse pour que tous deux puissent tirer un avantage à cette situation inextricable. Octavius lui enseignerait ses savoirs, que Cécilia suivrait volontairement, non de force, ainsi  au terme de cette éducation, il s’arrangerait pour pouvoir réintroduire la jeune femme auprès des siens. Un projet bancal, plein d’incertitudes, qui prendrait peut-être des années, mais qui valait toujours mieux que le néant de la désespérance. Cécilia accepta finalement, telle une noyée s’agrippant à la moindre prise pour rester hors de l’eau.

Il lui apprit d’abord tout ce qu’elle avait à savoir sur sa nouvelle condition. Il revint sur l’histoire de son clan, sur ce qu’il incarnait, sur leur noblesse de sage et de guerrier. Il expliqua doctement les pouvoirs de son sang ; sa force serait plus grande que pour le plus fort des hommes, sa vitesse plus vive que le plus agile des acrobates, et elle pourrait conforter d’un regard les créatures dans une vénération fictive. Il lui serait aussi possible de régénérer ses chairs ou de se renforcer. Mais tous ces dons devaient être nourris, aussi lui apprit-il également à chasser. Il la guida vers les issues secrètes des sous sols du château pour l’emmener à l’extérieur où elle fit ses premiers pas de prédateur nocturne. Ses premiers repas l’effrayèrent ; elle se nourrit bien maladroitement sur quelques animaux, et en tua même quelques uns par inadvertance. Au début bouleversée, il lui fallut prendre sur elle pour que, progressivement, au fil des nuits, elle parvint à contrôler sa soif. Malheureusement le sang des bêtes ne la rassasiait jamais complètement. Après quelques semaines, elle accepta, forcée par la faim, de chasser ses anciens congénères. Le sang des quelques hères trouvés ci et là fut bien si intense que Cécilia faillit perdre le contrôle à de nombreuses reprises. Fort heureusement, Octavius fut toujours là pour freiner l’ivresse et garder intacte l’humanité de son élève. L’homme l’emmena toujours plus loin du château en la transportant sur ses épaules en usant de sa vitesse surnaturelle pour parcourir nombre de lieux en peu de temps. Elle affina ses approches auprès de la gente mortelle. Là où à ses débuts elle ne parvenait qu’à se jeter sur eux au premier coin d’ombre venu, elle apprit à jouer de ses charmes pour séduire et se nourrir, sans excès ni sauvagerie.

Octavius n’ouvrit pas que les voies de la nuit à son infante, il la guida aussi vers un autre monde, de mots et d’idées. En une année, Cécilia maîtrisa plus ou moins correctement le latin. Si elle peinait encore à déchiffrer les parchemins de son Sire, ses efforts n’en demeuraient pas moins louables, si bien qu’Octavius lui accorda de pouvoir se rendre auprès de ses filles au cours des nuits, mais uniquement lorsqu’elles étaient toutes deux endormies. C’était en ces instants où Cécilia les retrouvait, assoupies tels des anges, que la jeune femme se souvenait de pourquoi elle se battait. À défaut d’être une mère présente, les savoirs inculqués par Octavius lui permettaient de mieux comprendre le monde, et ainsi mieux protéger ses enfants.
Quatre autres années passèrent, partagées entre éruditions, entraînements martiaux deuils et regrets.  Son époux avait trouvé la mort, peu après sa disparition, au cours d’une rixe aux frontières des terres de son père. S’il n’avait été homme réellement attentionné, il ne s’était jamais montré violent, et il fut probable que sa défaite ait été le fruit de son chagrin jamais complètement guéri. Comme tous les morts, on le pleura, puis on alla de l’avant, car le Seigneur l’avait rappelé à lui, et cela été beau.
Ses filles grandirent, sans père ni mère auprès de leurs grands-parents, cette idée éprouvante, Cécilia dut vivre avec longtemps. Plusieurs fois elle fut tentée de se manifester, mais Octavius parvint toujours à trouver les mots qu’il fallait pour l’en empêcher. Peut-être cela soulagerait-il une part de la peine de Cécilia, mais cela ne serait un cadeau pour personne. Elle était morte, à présente, et devait accepter cette idée de ne côtoyer les vivants que depuis les ombres. Ses enfants ne comprendraient pas l’existence du fantôme de cette mère trop tôt disparue. Ils devaient l’oublier, et il incombait à Cécilia de les protéger sans jamais se faire voir.
Etait-elle à peine une nouvelle née parmi les vampires que déjà l’immortalité lui semblait être un bien lourd fardeau. Pour souligner ce fait, la jeune femme fut attristée d’apprendre la mort  de Malvina, qui s’était éteinte au cours d’une nuit sans lune, suivant dans la tombe son fils peu de temps après.

D’autres préoccupations, pourtant, exigeaient l’attention de Cécilia, déjà lasse de ces trop nombreux deuils.
Son ainée, Blanche, fut bientôt en âge des épousailles, chose qui signifiait la voir quitter d’ici peu la demeure. Cécilia négligea bien vite les enseignements d’Octavius, soucieuse du devenir de sa fille. Il fallut trouver une solution rapidement, afin de contenter tous les partis. Après six années à vivre au même endroit sans jamais se croiser, Cécilia revit finalement Clotaire, aux cotés d’Octavius, afin de statuer sur ce sujet. Les retrouvailles furent troublantes. Clotaire, à l’image de Cécilia, n’avait pas changé en dehors de la fatigue qui se lisait sous ses yeux usés. Elle savait ce qu’il était, et inversement, ce pourquoi chacun se jaugea d’un nouveau regard où se mêlait crainte et incompréhension. Il ne lui fut pas hostile, bien au contraire, puisqu’elle devina en lui une masse d’émotions entremêlées, allant des regrets à la peur, de la joie à la colère. Ce soir-là, elle trouva une oreille attentive chez l’homme à qui, autrefois, elle n’aurait pensé jamais rien confier de ses doutes. Au terme de l’entretien, ils s’entendirent sur le nom du prétendant : un jeune seigneur voisin à la puissance militaire certaine, dont la légitimité se devait d’être encore renforcée auprès des nobles locaux, et qui était à la recherche d’alliés puissants. On le disait de bonne compagnie ; pour ce qu’en disaient les rumeurs, il apparaissait comme le meilleur parti possible. De plus, ses terres n’étaient guère éloignées de celles de Clotaire, et Cécilia pourrait ainsi continuer de garder un œil sur son enfant. Fort satisfaite du résultat, la Brujah put retourner à son quotidien d’études, son calme retrouvé, puis renforcé lorsque la décision fut rendue publique et l’union scellée.

Deux années s’écoulèrent tranquillement jusqu’à ce que la mort et la guerre viennent réclamer leur tribut. Des rumeurs fracassaient le lointain depuis quelques mois : deux châtelains particulièrement belliqueux revendiquaient les terres d’autres propriétaires, moins par les mots que par les armes. On disait leurs armées réunies redoutables, voire surnaturelles tant les victoires s’accumulaient sous leurs coups. Inévitablement, l’attention de ces opportunistes se tourna bientôt vers Clotaire et les siens. À l’aube d’un matin d’hiver, glacial, deux cents hommes prirent d’assaut la demeure, avant même que les défenses de celle-ci aient pu être mises en place. L’affrontement dura toute la journée, bien qu’il penchât en faveur des envahisseurs dès que le soleil fut à son zénith. Octavius et Cécilia, réfugiés dans les sous-sols, demeurèrent totalement démunis face à cette attaque, tous deux empêtrés dans les marasmes de la Torpeur. Au-dessus d’eux, on s’entretuait, on s’égorgeait, on s’éventrait, et au milieu du vacarme, il y avait les cris d’une enfant apeurée. Cécilia tomba dans les affres du sommeil mort-vivant avant même d’avoir quitté son abri pour porter assistance à sa fille ; elle n’emporta dans ses rêves vides que terreur et rage.
Elle s’extirpa de son coma plusieurs heures plus tard, au crépuscule ; autour d’elle, des ruines ; totalement paniquée, elle se rua aux étages. Octavius, pataud, la suivit : même lui se trouvait estomaqué par les scènes de désolation se déroulant sous ses yeux. Les sols se répandaient en sang collant et de cadavres, dont certains se trouvaient dans un tel état de mutilation que les deux vampires furent bien en peine de les identifier.
Sauf un. Minuscule corps brisé, à demi-dissimulé derrière un meuble, une long strie sanglante fleurissant de son cou jusqu’à sa cuisse, et sur lequel Cécilia posa les yeux dans un hurlement de douleur. Dernier son perceptible à sa conscience, car dès lors elle ne fut plus que Bête. Octavius bondit hors de sa portée ; angoissé, il vit se ruer hors de la pièce sa douce infante, tournée sur l’heure en un monstre aux traits déformés, inhumains. Il la suivit de loin : à travers les pièces et les couloirs, il la découvrait mettre en pièces les dépouilles qu’elle croisait, se jouer de leur fragilité, broyer de leur corps ce qui ne l’était pas encore, et annihiler purement ce qui l’était déjà. Lorsqu’après plusieurs heures de ce massacre morbide,  elle quitta les décombres du château en hurlant telle une damnée, véritable animal totalement soumis à sa pulsion de vengeance, Octavius ne l’empêcha pas. Quand, enfin, elle trouva un des derniers campements des envahisseurs à l’orée d’un bois, le vieux vampire partit s’asseoir sous le couvert des arbres pour regarder, de loin, sa fille s’abandonner à son chagrin meurtrier.

La rage rouge engloutit l’esprit de Cécilia des semaines durant. Entièrement fauve, elle ne se dévoua plus qu’à un état d’animal, meurtri et sauvage, si bien que son Sire dû l’immobiliser au bout de quelques jours, d’un pieu planté en plein cœur, afin qu’elle ne représente plus un danger pour quiconque. Le Romain, aussi blessé que la jeune femme par la perte de tout ce qu’il avait mis autant de temps à bâtir, ne perdit cependant pas son sang froid ; l’immortalité lui avait appris que rien n’était définitif hormis lui-même et ceux de son espèce. Toutefois, dans son cœur couvait le désir de vengeance, à l’instar de son infante, quoiqu’il fût bien mieux contrôlé. Habité par cette passion froide, il se jura que les coupables paieraient au centuple leur gâchis.

Cette promesse trouva sa résolution dix ans plus tard. Au cours de ces années, Octavius et sa fille, revenue à elle-même, réunirent informations et alliés dans l’optique de faire payer le prix du sang. Des deux, Cécilia était la plus désireuse de le revendiquer ; sa peine avait été muselée par le passage du temps, mais pas sa haine marquée au fer rouge dans son âme bouillonnante, et dirigée exclusivement vers Ludwig d’If et Geoffroy le Roux, les nobliaux de pacotille responsables de la mort de Flor. Le premier avait déjà été terrassé, le second ne tarderait pas à l’être.

Alors qu’elle enfilait sa tenue de cuir bouillie, Cécilia eut une pensée pour Blanche, son ultime enfant, et se convainquit que ses actes visaient aussi à la protéger. La folie conquérante de ces hommes s’était tarie après l’acquisition des terres de Clotaire, pourtant la Brujah suspectait un simple endormissement avant de nouvelles conquêtes. Elle ceintura son épée à son flanc, se dota d’un casque, et sortit de la tente.
Dehors, la nuit était tombée depuis quelques heures, à l’inverse de l’excitation des soldats qui allait grandissante. Cécilia embrassa du regard la cinquantaine d’hommes attroupés au pied du domaine de Geoffroy, l’entièreté des effectifs que ce dernier avait réuni dans l’urgence à l’aube de l’assaut, tout comme Ludwig quelques semaines auparavant. Puis, elle jaugea les troupes qu’Octavius avait formées à force de manipulations, de promesses et de remboursements de dettes. Les troupes de son Sire, deux fois plus nombreuses, pouvaient également compter sur un meilleur entraînement martial ainsi que des atouts incomparables : Octavius et elle-même. Cécilia songea que cela allait être un massacre. Et cela le fut.

Cécilia moissonna un nombre incalculable de vies dès la première rixe. L’immortalité lui avait octroyé une puissance avantageuse sur la gente mortelle ; sa lame découpait les corps, ses poings écrasaient les crânes, et sa vitesse la défaussait à tous les assauts. Dans la mêlée, elle entrevit son Père : guerrier extraordinaire qu’aucun obstacle ne put soumettre, et qui fauchait sans grand effort ceux qui se présentaient à sa masse. Au bout d’une heure, les forces ennemies furent décimées, la grande porte de la demeure défoncée, et Geoffroy traîné jusqu’au milieu d’une cour boueuse de sang et de poussière. On se réunit autour de ce triste seigneur, on le conspua, et on laissa s’avancer vers lui une mère à jamais blessé par sa soif de biens terrestres. Cécilia donna à cet homme sans valeur la mort qu’il méritait : dépourvue de gloire et de pitié, conclue par le tranchant rageur d’une épée. La saveur de la victoire emplit la bouche de la jeune femme, douce et sucrée. Elle s’éloigna du cadavre ; les soldats s’écartèrent promptement de son chemin, partagés entre crainte et respect : ils l’avaient vu combattre telle une furie, et si aucun ne le formula à haute voix, tous suspectaient l’œuvre de forces surnaturelles. La Brujah les somma de rester ici, puis elle pénétra dans la demeure saccagée de Geoffroy, à la recherche de son Sire, lui-même parti dénicher le véritable coupable de tous ces carnages.
Guidée par ses sens vampiriques, elle les trouva dans d’obscurs tunnels, creusés sous les fondations ; sur les parois, on pouvait encore deviner les coups de griffes qui avaient labouré la roche pendant l’édification  du dédale. Elle aperçut Octavius, assis en tailleur, une lampe à huile brillant non loin. Face à lui, empalée à même la pierre par un épieu de bois fiché en plein cœur, une silhouette sinistre pendait au-dessus du sol. À ses pieds, il y avait la dépouille d’un loup énorme, noir, massif, et mort. Le Romain se leva en voyant son infante approcher ; elle lui annonça que justice avait été rendue. Ils se tournèrent tous deux vers la créature suspendue dont les traits, même si dissimulés en partie par l’obscurité, se révélaient considérablement hideux. Cécilia jaugea froidement le Nosferatu paralysé, le maître des pantins mortels, le vampire à l’ambition aussi démesurée que son inconscience. Elle lui demanda s’il regrettait ses actes. Il ne répondit rien, car il ne le pouvait. Ensemble, Octavius et Cécilia se ruèrent sur lui, tous crocs dehors, et l’asséchèrent de sa substance comme de sa vie.
 





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MessageSujet: Re: Cécilia    Cécilia  Gorl10Dim 7 Sep - 11:44




Histoire


Acte III

Cécilia vécut auprès de son Sire pendant encore quelques années, jusqu’au moment où l’inévitable lassitude de deux êtres éternels finit par les saisir. Ils se séparèrent en de bons termes, chacun partit suivre sa route pour voir et apprendre de ce monde qui ne cessait d’évoluer. Le temps atténua les blessures de la vampire, mais pas son amour pour sa dernière fille, d’un âge vénérable à présent. Cécilia s’établit non loin de Blanche, dans une chapelle rudimentaires de pierres mousseuses à flanc de montagne, qui lui donnait une visibilité sur sa descendance mortelle, dont la jeune femme restait indéniablement soucieuse. Ainsi recluse, elle devint une ermite vigilante, une gardienne oubliée veillant tout à la fois sur sa lignée et ceux sous leur protection.
Des décennies passèrent, Blanche mourut de sa belle-mort, non sans avoir donné la vie à son tour. Un nouveau deuil pour sa mère, inconsolable et meurtrie. L’immortalité ne semblait jamais plus lourde pour un parent qui devait enterrer ses propres enfants. La Brujah perdura néanmoins, survivante de sa douleur ; sentinelle immortelle, elle ne quitta son poste, et survécut en se nourrissant discrètement dans les quelques hameaux environnants. En quelques occasions, des voyageurs égarés croisaient sa route ; ceux-ci se retrouvaient face à une jeune femme d’aspect misérable mais d’une grande beauté, l’air aussi perdue qu’eux, et beaucoup crurent entrevoir un esprit, car sitôt aperçue, elle disparaissait au détour d’un sentier, derrière un arbre. Puis, ils sombraient dans l’inconscience sans cri et se réveillaient bien plus tard, à l’orée d’un village, deux petites cicatrices marquant leur cou.
C’est ainsi que naquit la légende locale de la Demoiselle de jais, nommée ainsi en raison de sa chevelure cerclant son visage d’enfant. D’aucuns la prenaient pour une fée qui résidait dans le bois, une innocente créature après qui certains jeunes garçons couraient dans l’espoir de l’entrapercevoir, transis d’un amour juvénile pour cette créature chimérique. D’autres parlaient du fantôme d’une jeune femme, morte après s’être perdue en forêt, et qui guidait les vivants pour leur épargner son sort. Tous s’accordaient à la considérer comme une entité bienveillante, et elle devint au fil du siècle une jolie histoire qu’on se racontait autour d’une chope, au coin d’un feu.
Cécilia n’eut jamais conscience de tout ce qui se colportait à son sujet, et si elle l’avait su, peut-être aurait-elle fait preuve de plus de prudence quant à sa sécurité. Si son vieux refuge lui conférait une protection contre le soleil, il n’en était rien envers l’hostilité d’autres êtres surnaturels, ni leur appétit.

Une nuit sans lune, d’un noir d’encre ; ces nuits si sombres que le monde paraissait s’être éteint, et le jour chassé pour jamais. La Brujah, qui ne pouvait percer une telle obscurité se réfugiait dans sa chapelle, et attendait un soir plus clément pour arpenter, bien plus librement, ce qu’elle estimait être son domaine. Installée autour d’un feu préparé avec la plus extrême prudence, Cécilia songeait à sa vie, son histoire, son avenir et ses perspectives. De temps à autre, le foyer crépitait, faisant sursauter la jeune femme qui ne parvenait à taire sa crainte pour les flammes qu’à demi. Au dehors, sous la voute étoilée, les animaux suivaient leur rythme de vie nocturne, et la vallée résonnaient de tous ces bruits. À un moment, tout se tut.
La Caïnite ne s’en aperçut pas immédiatement. Lorsque le fracas du silence éclata à ses oreilles, il était déjà trop tard. Elle leva les yeux quand la vieille porte à l’entrée craqua ; dans l’embrasure, elle vit une haute silhouette qui s’avançait. Cette dernière s’immobilisa à quelques pas, et se révéla être un homme sale au faciès sauvage, dont les yeux luisaient d’une obscure lumière rouge. Cécilia se leva prestement ; elle ne fut guère surprise lorsqu’usant de son Augure, elle constata la nature mort-vivante de l’étranger. Il marmonna quelques mots sur une fée de jais, elle lui somma de partir. Il répondit par un sourire sardonique, révélant des crocs massifs en lieu et place de dents humaines. Quand il se jeta sur elle, Cécilia était prête. Elle cueillit la mâchoire de son agresseur d’un puissant revers de la main, le projetant à l’autre bout de la pièce par ce simple geste. S’il parut d’abord surpris, la joie avide qui éclaira ses traits n’eut rien de rassurante. De ses doigts jaillirent des griffes à l’allure acérée ; d’un bond, il se releva et partit de nouveau à l’assaut. La Brujah fit usage de ces disciplines, et esquivant, feintant, frappant, elle martela son opposant avec une force telle qu’un mur de briques en aurait été réduit à une brume de poussière. Néanmoins, l’homme n’esquissa que quelques grimaces de douleur, rien de plus. Le brasier ronfla non loin, marquant de sa lumière ondoyante la brutalité de l’échange.
Au fur et à mesure, Cécilia s’épuisait, sa vitesse allant décroissante. Bientôt, l’avantage passa à son ennemi, qui s’en donna à cœur joie. Il lacéra le flanc de la jeune femme, mutila sa main de quelques doigts, et le sang versé à flots excita plus encore sa pugnacité. Sentant sa fin venir, la vampire concentra ses forces sur le déclin dans un poing rageur ; avec ardeur et terreur, elle le frappa à la gorge, l’envoyant tout droit dans le feu situé derrière lui. Son corps s’enflamma ; il hurla à son tour, de souffrance, de peur, de colère. Pour autant, il n’abandonna pas la lutte, quand bien même les flammes lui dévoraient les jambes. Il gonfla sur lui-même, se tournant progressivement en une créature mi-ours mi-humaine, entièrement habitée par la rage. Cécilia se rua au-dehors, bientôt suivie par la monstruosité hybride d’homme et de bête, de chair et de cendres.
La Caïnite passa au travers de nombreux fourrés ; elle se prenait les pieds dans les racines, les branches lui fouettaient le visage et derrière elle s’élevait la respiration haletante de son poursuivant. Elle accéléra l’allure autant qu’elle le put, son cœur battant dans sa gorge son effroi. Soudain, elle se retrouva au bord d’un précipice, au fond duquel s’élevait le chant d’un ruisseau. Elle fit volte-face, trop lentement néanmoins. Une patte énorme lui faucha la tempe, et Cécilia s’éleva haut dans le ciel, et dans son dos il n’y eut plus que le vide ; elle tomba dans un grand cri.
Elle s’éveilla quelques minutes plus tard, en contrebas, brisée entre la pierre et l’eau. Elle sentait sourdre la peur dans tout son corps, occultant presque entièrement sa douleur. Rampante, crachotante, terrifiée à l’idée d’entendre la démarche lourde du fauve, la malheureuse se traîna jusqu’à un renfoncement rocheux partiellement immergé. De sa main encore valide, elle creusa le gravier hystériquement, s’arracha deux ongles, continua encore et encore à labourer le sol boueux. Il se forma un trou profond, fruit de ces efforts désespérés. Un cri inhumain explosa non loin ; Cécilia n’hésita pas : elle plongea dans cette fosse qui était comme une tombe marine. La conscience de la Caïnite se noya dans le froid de la Torpeur, et l’univers ne fut plus qu’un vaste flot silencieux.
Un temps indéterminé s’écoula hors du sommeil, hors de cet état de fausse mort, et le monde changea.

Cécilia revint à la vie, sale, perdue, apeurée et affamée. Lorsqu’elle s’extirpa de son cloaque, la Demoiselle de jais ressemblait davantage à une sorcière inhumaine, tant sa peau disparaissait derrière une épaisse couche de boue, et sa chevelure s’entremêlait de saletés, et ses traits se creusaient sous l’action de la soif, parfait faciès du prédateur. Titubante et affaiblie, elle remonta le cours de la rivière, et dans sa bouche, mélangée au goût de la terre, il y avait celui de l’âpre colère.
Il lui fallut des semaines pour se rétablir. Se nourrissant d’animaux pour recouvrer ses forces, elle put, dès qu’elle eut recouvrée une apparence plus décente, user de son charme afin de se nourrir de ses anciens semblables, dont le sang bien plus nourricier, lui rendit toute sa puissance mort-vivante. Et lorsqu’elle fut prête, ainsi que correctement armée, elle partit en chasse de celui qui l’avait traquée jadis.
Pendant plusieurs mois, elle écuma la région, avide de rumeurs ou d’indices qui la mettrait sur la voie. Malheureusement, les quelques pistes que Cécilia dénichait étaient déjà froides, et la jeune femme dut bien vite admettre son échec. Son agresseur s’était enfui et ne paierait probablement jamais de ses crimes. La déception fut grande mais bien moins que la détresse que creusait ce vide : dépossédée de cet objectif, Cécilia n’avait plus ni projet ni nécessité pour occuper son éternité. Sa vengeance ne pouvait être satisfaite ; ses descendants s’étaient éparpillés, figures étrangères à peine ébauchées dont le sort n’importait plus vraiment ; Cécilia n’avait rien bâti qui lui tenait à cœur de défendre et voir grandir. Face à ce constat, elle décida après plus d’un siècle d’existence qu’une nouvelle page de son histoire devait être écrite, hors des frontières d’un univers mille fois connu. Peu après, elle quitta sa terre natale en quête de nouveaux horizons.

Au cours des ans qui suivirent, la vampire stimula ce désir d’exploration, s’arrêtant qu’un moment aux lieux qu’elle visitait, toujours poussée par l’envie d’en découvrir plus. Elle suivit les rives de la Méditerranée jusqu’aux Pyrénées, avant de faire demi-tour, suivre en sens inverse le chemin parcouru, pour s’arrêter quelques mois à Marseille et finalement gagner le nord de l’Italie. Elle s’y installa quelques années avant d’être de nouveau saisie par cette frénésie du nomadisme. Sans regret, elle quitta son abri et remonta vers le Nord, traversant les différents royaumes humains voués à disparaître, à se métamorphoser ou se fondre les uns dans les autres.
Ses pas la menèrent finalement à Paris, qu’elle ne quitta plus depuis lors, comme si le destin s’était joué de son libre-arbitre pour l’enchaîner à cette ville. La cité lui présenta ses richesses, son énergie, ses dédales d’existences croisées, et Cécilia en tomba immédiatement amoureuse, et en elle s’éveillait cette même flamme qui l’habitait lorsqu’Octavius racontait le passé. La Caïnite formula ce vœu pieu : Paris deviendrait la nouvelle Carthage.
Malheureusement cet espoir se vit très rapidement imposer des obstacles, et non des moindres. Une société mort-vivante s’était déjà établie en ces murs, figée sous l’autorité sclérosée d’un être antique. Un ordre indéniable y régnait avec suffisamment de force pour impressionner Cécilia, pourtant l’absence totale de finalité de cette hiérarchie s’imposa rapidement à la jeune femme. Le Mathusalem Alexandre régnait avec brio mais seulement au service de sa propre cause. Il était un monolithe sans passion, sans combat, entièrement tourné vers son confort idiot, ses avantages terrestres dépourvus de substance.

La demoiselle de jais ne se pensait pas être une intrigante, or pour pouvoir donner une réalité à ses vieux rêves, il lui fallut se soumettre aux exercices du pouvoir. Elle fit son entrée à Paris par la petite porte, demeurant relativement discrète après s’être présentée au Prince puisque le voulait l’usage. D’abord hésitante quant à la marche à suivre, peu habituée au désir d’ambition, elle occupa ses premières années à la récolte de renseignements sur les différents acteurs politiques, tentative un peu timide de discerner les alliances et les inimitiés dans l’inextricable toile de faux semblants. Durant cette période, elle se lia d’amitié avec une Nosferatu, Elbore, une ancienne prostituée et jeune caïnite de son état. En quelques années, celle-ci parvint à s’affranchir de la méfiance que Cécilia concevait par rancune pour le clan des rats, et réussit à lui présenter un visage plus humain de ses congénères. Elbore ne comptait qu’une trentaine d’années de non-vie à son actif, malgré tout, elle avait demeuré suffisamment longtemps à Paris pour incarner une véritable mine d’informations. Par  elle, la Brujah apprit à cerner les ficelles, les marionnettes, et les marionnettistes, par qui se jouait ce grand spectacle hypocrite.
Lorsqu’elle se sentit enfin prête, Cécilia postula au rôle de Fléau. Fonction dépréciée par beaucoup, vue comme avilissante car dédiée uniquement à la violence, mais indéniablement crainte et qui, plus important, lui permettait de se créer un nom. En raison de ses talents martiaux, et son âge déjà bien avancé, la vampire n’eut pas vraiment à beaucoup forcer pour appuyer sa candidature. Ainsi fut fait, et on lui confia la tâche d’éliminer les ennemis de la loi Caïnite.
Tout du long de ce service, la vampire ne prit que rarement plaisir à faire couler le sang, hormis dans ces quelques cas où les adversaires à abattre se résumaient à des monstres brutaux et meurtriers, peu soucieux de dissimuler leurs carnages. Tranquillement, la jeune femme se forma une petite réputation, ce qui précisément entrait dans son calcul initial. Une nuit, le gardien de l’Elysium fut tué, diabolisé par un rival jaloux ; s’en suivit une traque et un affrontement entre le criminel et Cécilia, dont cette dernière sortit vainqueur. Le soir même, sa mission accomplie, la demoiselle se rendit auprès du Prince et demanda à se saisir du rôle occupé par la victime ; quelques nuits plus tard, à la surprise générale, on la trouva accueillant les visiteurs, vêtue d’une robe, souriante et aimable.

Une existence entière s’écoula, paisible. La dévotion aux armes de Cécilia n’avait, paradoxalement, nullement entaché son aspiration à la quiétude, de sorte que lâcher l’épée pour les mots ne fut un très grand sacrifice. Dès ce moment, la Brujah entra pleinement dans l’univers de mondanités qu’elle avait entraperçu ; titubante dans les attitudes au début, elle prit confiance et s’y exerça comme l’exigeait ses nouveaux devoirs. Bien moins à l’aise dans le domaine de la rhétorique que dans le maniement d’une épée, et en dépit de son dégoût de l’hypocrisie, Cécilia se plut à cette fonction, paradoxe qu’elle ne s’expliquait pas. Loin des excès de violence, loin de l’isolement auquel son début d’existence s’était résumé, la Caïnite s’épanouit comme une fleur au sein de cette cour princière tissée de mensonges et de trahisons pendant plus d’une centaine d’années.
Elle joua comme les autres vampires et fit de l’Elysium son terrain de jeu. Moins dévorée par l’ambition personnelle que par ses idéaux, Cécilia se révéla aussi, voire davantage redoutable à ces manipulations politiques que ses rivaux. Ils n’avaient comme flamme que l’amour qu’ils se portaient à eux-mêmes ; elle était portée par un rêve bien plus brûlant que n’importe quel égo. Elle écrasa les obstacles, elle récompensa les alliés, et plus aucun n’osa la sous-estimer. Du sobriquet qu’on l’avait affabulé, la Douce en fit une plaisanterie aimable.

Puis, vers 1180, le Sénéchal fut pris pour cible par la justice princière suite à un complot ayant eu pour ambition de destituer Alexandre. Il fut éliminé, tant politiquement que physiquement, et la place fut laissée vacante quelques temps. Le Prince trouva finalement une remplaçante en la personne de Cécilia, mais cette soudaine promotion se révéla rapidement à double tranchant. Son successeur avait été un Ancien puissant, alors qu’elle-même n’atteignait pas même sa trois centième année, forme d’humiliation qui la présentait comme de bien moindre importance. De plus, hériter d’une telle autorité après la violente suppression du précédent Sénéchale fut comme une corde qu’on passa autour du cou de la jeune femme. Elle avait le pouvoir, certes, mais aussi une épée suspendue au-dessus de la tête, prête à s’abattre au moindre écart.
Ainsi placée au cœur d’une décision dont elle se doutait ne percevoir que quelques aspects, la Brujah seconda toutefois le Prince avec efficacité, découvrant auprès de ce dernier une intelligence vive soutenant une personnalité rigide, morte de toute passion. La Caïnite n’aimait pas cet être aux allures d’enfant et à l’esprit statufié ; elle n’espéra toutefois jamais lui faire défaut, trop consciente de sa puissance. De plus, elle découvrit en lui plus de points communs qu’elle ne l’aurait souhaité, ce qui la paralysa longuement en des séances d’introspection dont elle ne fut pleinement satisfaite des réponses. Elle le servit des décennies, et ne trouva pas plus de réponses à ses questions.

Or, en ces dernières nuits, les choses ont changé. Le Prince s’en est allé à son tour, sans prévenir, et l’institution de l’Elysium s’agite. Un nouvel horizon se dessine dès à présent devant la Brujah : débarrassée de l’influence active du Prince, elle ne sait encore quelle ligne de conduite suivre. Prolonger le règne d’Alexandre semble la plus logique et la moins risquée, hélas de nouvelles idées s’agitent, de nouveaux espoirs qui, peut-être, s’achèveront sous le linceul.
À présent, Cécilia attend, songe à ce qu’elle doit faire et sacrifier pour concrétiser ses projets.
 



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