Le rendez vous du coeur

Il était tard le soir, ou tôt le matin selon comment on entend les choses, et c'est à cette heure tardive qu'une forme encapuchonnée errait sur les quais fétides de Paris, perdue entre les taudis miséreux et les rats qu'éclairait le subtil halo lunaire elle avançait, sa bure trainant dans la fange nauséabonde du quai. Un fourreau accroché à sa ceinture la forme noire dont on ne distinguait pas le visage perdu dans les ténèbres du capuchon marchait d'un pas décidé vers une destination que seule elle semblait connaitre.

Théobald repensa à cette a rencontre inattendue avec le gangrel. Trouver ainsi un autre immortel dans Paris voila qui était chose rare. Cette rencontre s'était cependant révélée très instructive, autant pour l'animal que pour l'abée. Il lui avait parlé, entre autre, d"amour". Bien que Théobald ne comprenait pas la signification de ce mot il semblait bien que le sergent avait eu raison, le religieux était bel et bien consumé par une attirance perpétuelle vers cette sorcière nommée Deindre. Celle-ci, avec ses potions et ses philtres maudit lui avait surement jeté un sortilège ou charme malsain qui avait eu ce résultat... Malgré sa répugnance pour cette dépendance et son envie d'offrir l'âme repentie de la sorcière à Dieu il ne pouvait s'y soustraire car il la désirait pour lui seul. Nulle échappatoire n'était possible, elle l'avait envouté et elle assumerait son geste en s'offrant à lui, dans le cas contraire elle devrait brûler pour son alliance avec Satan. Il espérait ne pas avoir à en arriver là, et il l'impressionnerait surement le nécessaire pour obtenir ses désirs ce soir mais si elle ne lui laissait pas le choix il devrait sévir...

Ce soir, il avait décidé de l'impressionner, ce soir il avait tout les atouts pour la mettre dans sa poche. Le crime atroce de son plus fidèle patient lui avait déchiré le coeur et l'homme de foi avait bien vu l'empathie de cette femme. Malgré sa prétendu alliance avec le malin elle semblait avoir conservé toute son humanité. Son regard horrifié et sa peine revenait souvent hanter l'esprit du bénédictin. Celui ci avait été tant touché qu'il s'était décidé à connaitre le fin mot de l'histoire, à traquer l'assassin et à le détruire comme il convenait, gagnant par la même occasion les faveurs de sa belle. Il avait usé de sa perception mystique sur l'arme du crime obtenant, outre une belle migraine, des images désordonnées de lieux et de personnes. Cela était suffisamment d'indices pour mener à bien cette quête. L'abée connaissait le visage de l'homme qu'ils devaient chercher, il connaissait les tavernes sordides par lesquelles il était passé, cela était plus que suffisant. Ceci était l'occasion de revoir Deindre, de l'impressionner en faisant triompher la justice et en vendant ses prouesses de détective. Elle ne pourrait résister, après tout ne lui avait elle pas lancé un sort, c'est donc bien qu'elle l'aimait et qu'elle avait cherché à le mettre en son pouvoir, à obtenir son amour. Et elle avait réussie, elle devrait maintenant assumer la gravité de ses gestes...

Perdu dans ses pensées obscures Théobald n'avait pas vu qu'il n'était plus qu'à quelques pas de la hutte de la guérisseuse. Peut être la trouverait il ici, en son refuge, il fallait espérer... La forme encapuchonné marcha entre les couinements grinçants et atroces des rongeurs affamés et s'approcha de la porte en bois qu'une main gantée cogna avec assurance.
Il était temps de revoir cette sorcière et de vérifier la nature de ses sentiments, à ces pensées son coeur se serra...

Trois licornes entrent dans un bar...

La Salubri marchait dans la rue, encapuchonnée, avec un sentiment étrange sur le cœur. Cela faisait quelques temps, déjà, qu’elle n’avait pas arpenté cette partie de la ville, pas depuis qu’elle avait confié à son apprenti la charge de ses patients pour s’en aller apprendre à manier l’épée avec Solomon. Ce dernier était aussi impitoyable que patient, aussi silencieux que brillant, aussi mélancolique qu’adroit. Elle ne parvenait pas vraiment à le cerner, mais lui vouait une affection certaine.

Un peu comme un guide, un grand frère peut-être ? Quelque chose qui s’en rapprochait en tous cas. Les rares fois où elle l’avait vu esquisser un sourire doux, elle n’avait pu que se réjouir d’avoir pareil compagnon de route. Un frère, oui, fort secret, qui devait avoir plus mystères que tous les caïnites de cette ville réunis – hormis les Nosfératus, le clan des masques avait toujours eu le don de faire durer le suspens – et ce n’était pas peu dire. Mais enfin, voila qu’ils cheminaient côte à côte, il avait accepté de l’accompagner dans son quartier de prédilection, pour passer récupérer chez elle un peu de matériel. Deindre s’avouait également une grande curiosité, et un souci des malades, elle voulait absolument voir comment se portaient les patients qu’elle avait laissé en arrière pour embrasser les premiers jalons de la voie du guerrier.

Ce n’était sûrement pas le meilleur choix de sa carrière, elle n’avait pas pu s’empêcher de s’en faire la réflexion en cheminant. Avait-elle bien fait ? Il était tard, trop tard pour les regrets, et elle ne pourrait ni ne voulait changer d’avis. Cependant… Force était de constater que la question s’était posée. Serait-elle assez forte pour poursuivre en cette voie là ? Serait-elle assez vive pour survivre ? Serait-elle suffisamment sage pour s’alléger de la haine et de la vengeance ? Bien des questions qui demeureraient sans réponse tant qu’elle n’aurait éprouvé pour la première fois les combats.

Et voici qu’ils arrivaient, au détour du chemin, à proximité des maisons basses, des masures plutôt, que Deindre avait laissée derrière elle.

« Bienvenue dans le quartier du marais, Solomon »

Sa voix s’était faire douce et discrète, elle avait prononcé ces mots dans un murmure, vaguement embarrassée d’emmener le Conseiller de son clan dans un tel lieu. Avait-elle peur de son jugement, d’une remarque quelconque ? Peut-être bien, peut-être qu’elle redoutait en effet, le poids du regard de Solomon… Elle ressentait une certaine angoisse à l’idée de lui présenter son quotidien par la simple visite du lieu qui lui servait d’abri.

Mais… ? Elle se figea. Une silhouette était devant sa porte, y frappant quelques coups. Deindre leva les yeux vers Solomon, elle redoutait que ce fût le Copiste Tremere duquel elle n’avait encore osé parler au Conseiller. Mais ces derniers jours, elle avait été tendue, un rien angoissée, pensant bien souvent à son étrange rencontre avec Gilhem, et au personnage haut en couleur du fou qu’elle avait vue tout de suite après. Parfois, ses pensées s’étaient même égarées jusqu’à Frédérick, cette étrange rencontre en sous bois, avec qui, une nuit durant, elle s’était perdue dans un univers de mythes, de légendes, et de féérie.

Cependant…Force était de constater que cette forme encapuchonnée n’était vraisemblablement pas Frédérick, pas assez bondissant. Etait-ce Gilhem ? Il lui semblait que non, mais elle était si tendue, soudainement, si inquiète, qu’elle ne pouvait se calmer pour réagir avec discernement.

Dans le regard qu’elle adressa à Solomon, il y avait une certaine forme de panique, de peur, elle ne dit rien, ne lui demanda rien, pourtant, comptant sur sa seule présence pour dissuader le visiteur, peut-être ? Elle n’osa pas, en tous cas, se montrer à découvert, et le visiteur attendait toujours. Elle se décida à expliquer à mi-voix sa frayeur à Solomon, toute tremblante tant la rencontre des derniers jours avec Gilhem l’avait bouleversée.

« Je ne suis pas certaine, mais il peut s’agir d’un Usurpateur. L'un d'entre eux m'a retrouvée il y a quelques soirs.»

Sa voix était blanche, elle venait d'avouer sa faiblesse, sa faute, elle attendait, non sans une certaine angoisse, la réaction de Solomon. Elle avait manqué de prudence, qu'en dirait-il? Quelles seraient les conséquences?

En dehors de mon domaine, je considérais Paris comme une ville dangereuse et peu sure. La décision de mon élève de demeurer désormais en mon domaine était véritablement cause de soulagement. Restait encore à opérer le changement. J'aurais pu me passer d'aider mon élève, ses biens n'étaient que rudimentaires et peu encombrant. Mais un souffle me poussa à dire oui, un appel qui dans le secret de l'élève me faisait manquer une séance au conseil, la première ou je serais absent. Certains conseillers ne me voyant point pourraient d'ailleurs penser à ma mort horrible causer par l'usurpateur. L'hypothèse était fort crédible. Mais cela n'était pas le cas, j'aidais une amie, point pour la charge, mais par soucis de sa sécurité.

Elle était bien plus qu'une élève, elle demeurait salubri, une salubri encore debout. Pour cela Deindre méritait amplement mon enseignement et ma protection. Je ne devais guère être un bon compagnon de voyage, je parlais peu en tout cas. Ermite en mes nuits, je ne voyais guère l'utilité de converser en ce moment. Tout le décor me semblait si familier, seule la présence de Deindre bouleversait cela. Cependant que dire ? La lune est pleine ce soir ? Merci, n'importe quel idiot aurait très bien pu effectuer ce constat ! Oh vous avez remarquer, la taverne est animée ce soir ? Non ! Mais je n'avais absolument aucune raison de parler de cette Taverne. Je savais déjà la raison de notre venue... Il s'agissait de tout ce que je devais savoir.

Et puis, mon esprit alerte me commandait à la prudence. Pas le temps de conversion donc, il fallait faire place à la vigilance. L'organisation de ces sorciers était effrayant ! Malgré leur jeunesse, leur sang volé était si puissant !

Soudainement me voila extirpé de ces considérations fort peu réjouissantes. Un être sombre se tenait la, près du taudis ou résidait mon élève. Un inconnu qui avait le don de faire naître la crainte chez mon élève. Une peur qui souleva un aveu, ainsi donc elle avait rencontrée l'impie. Bien sur elle avait trouvée sage l'idée de ne point m'en parler auparavant. Si mon aura était mystère, jamais je n'aurais gardé tel secret pour mon maître d'arme, pour mon sire. A celui à qui je confiais ma sécurité, celui la devait connaitre ce genre de détail. Néanmoins, il était loin le temps des reproches.

Je dégaina la lame blanche et m'avança, jusqu’à ce que ma silhouette fasse disparaitre l'élève. Mon augure était déployé, en son aura je ne reconnus aucune intention hostile. Ma première impression fut une fausse alerte, alors la lame fut rangée de moitié en son fourreau. Main sur la garde, j’engageai simplement la conversation.

"Cherches-tu quelque chose l'inconnu ?"

Un voleur de cadavre ? Un espion à la solde de tremeres ? Un simple passant ? Je devais savoir !