Le Viking avait dans l'idée de visiter les lieux de culte, les sachant plus accessibles et plus riches que tous les autres réunis... Ces adorateurs d'un dieu mort accumulaient moult or et argent, pierreries et autres pour les entasser dans les tombes de pierre qui rongeaient les villes, laissant le peuple exsangue, les enfants mourir de faim, alors que le clergé s'engraissait de manière éhontée. Laissé mourir les vivants à la gloire d'un dieu mort.

* Incompréhensible ! *

Ses longues enjambées le menaient à travers Paris, longeant les quais de Seine, regardant les bateliers s'affairer autour de leurs bateaux, cris, grincements de poulies... sans doute déchargeraient-ils au matin suivant. Il croisa le crieur avec sa lanterne, et quelques autres gens pressés de rentrer chez eux. A présent, les pavés lisses remplaçaient les cailloux. Frederick avisa le pont menant à l'Ile de la Cité en songeant : "pourquoi pas...".

La place devant la cathédrale était vaste et vide à cette heure. Les mendiants eux-mêmes avaient disparu, à part deux qui campaient sous le porche de gauche, espérant quelque retardataire prêt à leur accorder une piécette. Ses vêtements trahissant une certaine aisance : un surcot de laine bleu, serré à la taille par une ceinture de cuir où pendait une bourse et une dague dissimulées par les plis d'un mantel sombre, des braies sans trou et des bottes de cuir assorties à la ceinture... ils tendirent la main, mais Frédérick ne leur accorda pas un regard. Les portes étaient encore ouvertes et le sergent se dit que la visite pourrait être intéressante. Jusqu'à présent, il n'avait pas encore osé pénétrer dans ce haut lieu de la chrétienté. Il se fit la réflexion que les murs auraient pu être largement peint du sang des innocents tués au nom de cette foi, et le bâtiment, immense, être chauffé par les bûchers où brûlaient ceux dont les Dominicains souhaitaient se débarrasser. Curieusement, le vampire sentit son coeur se serrer et une légère angoisse le saisir : son état de non-mort, et aussi le fait d'entrer dans la mère des nefs de pierre chrétienne, lui qui haïssait ce dieu et cette religion. Certes, il n'avait eu aucun mal à pénétrer dans les églises, vivant ou non-mort, pour accaparer leurs richesses, et accessoirement trucider quelques moines, mais là... c'était le navire amiral. Peut-être que le dieu mort s'y trouvait réellement...

Les échafaudages s'élevaient à l'entrée en construction, où les pierres blanches semblaient vouloir toucher la voute sombre de la nuit. La hauteur était impressionnante, et aussi, le génie des charpentiers et des tailleurs de pierre, des maçons. Le Viking les savaient compagnons, et l'on disait qu'ils rapportaient d'Orient leur grand savoir, du Temple de Salomon, même... grâce aux Templiers. Ces histoires avaient de quoi faire réfléchir : ressuciter ainsi un savoir si ancien, peut-être même volé aux morts, n'était pas une bonne chose. Pourtant, l'harmonie laissée présagée par le chantier l'attira comme un aimant et il se risqua à aller plus loin. Son pied droit se posa, hésitant, à l'intérieur, et comme il ne se passait rien, Frédérick posa le gauche juste à côté, enjambant ainsi une pierre plus haute qui marquait la limite entre intérieur et extérieur. Rien. Il se retourna, et s'assura de pouvoir sortir, le put, et entra de nouveau. Ses doigts effleurèrent les portes et leurs lourdes et fascinantes décorations. Quelques pas... découverte du choeur, des déambulatoires, travées et aussi de la nef... Toutes ces pierres semblaient VOULOIR l'harmonie offerte aux yeux qui les parcouraient. Bon... il n'était plus temps. Comme il ne se passait rien et que les anges et démons de cette religion ne lui sautaient pas dessus, le Viking, rassuré, revint à son affaire première : trouver le trésor du lieu. Un sourire satisfait s'étala sur ses traits à la vue des chandeliers en or qui trônaient dans le choeur -réservé aux moines, et clôt d'une illusoire grille...-. Et ce n'était pas tout : ostensoir, présentoirs, coupes... simplement posés sur du linge blanc... Les moines entrèrent comme des ombres, prirent place de chaque côté, chacun dans une stalle, puis rompirent leur silence en chants larmoyants.

* Insupportable ! *

Le sergent de la garde royale (humaine !) fit demi-tour et sortit. Il en avait vu assez et savait où se passerait sa prochaine rapine. S'enfonçant dans les ruelles tortueuses entourant la cathédrale, il vit s'approcher une ombre hésitante et se dit qu'un bon repas se présentait. L'inconnu sentait l'encre et la chandelle, trahissant ainsi une proie facile et peu distrayante, mais normalement bien nourrie. Le lieu étant désert... Frédérick tendit l'oreille pour s'assurer qu'aucune garde ne se présenterait, non... dans les maisons aux volets clos, que des conversations paisibles... les crocs sortirent, et le vampire sauta aisément sur une corniche, près d'une vierge miséricordieuse, pour surveiller son repas passer sous lui, prenant soin que sa rapière ne fit aucun bruit contre la pierre... et quand l'imprudent fut à l'aplomb, sauta prestement et pour mordre sa proie...

* Pas de coeur ?!!!! *

Un semblable ?!!!! Non seulement il le lâcha avec dégoût, mais aussi le poussa violemment contre le mur d'en face :

- En voilà, des manières ?!!!! ça ne va pas ? s'écria-t-il.

Il se déplaçait comme un humain, comment le vampire pouvait-il savoir qu'il n'en était pas un.